à propos de Paul Hebert, inventeur du codage à barres
de l’ADN, qui se fait le chef de file d’un effort international
visant à rendre compte de la biodiversité de la Terre.
Ce texte a été publié sur le site d'Innovation Canada.
LE CODAGE À BARRE DE L'ADN
Par Véronique Barker
La terminologie propre au combat revient souvent
dans la bouche de Paul Hebert.
Il n’est certes pas pugiliste mais
même dans son champ de recherche, l’arène plutôt
paisible de la biodiversité moléculaire, des
affrontements se produisent. Son parcours montre
bien qu’il ne faut jamais jeter l’éponge.
Ce titulaire de la chaire de recherche du Canada en biodiversité
moléculaire a subi son premier revers alors qu’il n’avait que
quatre ans. Ayant capturé un bourdon dans un bocal, il se hâtait
de rentrer à la maison le montrer à sa mère quand il fit une chute
qui lui ouvrit la main gauche. « J’étais tellement fier de ma capture.
J’étais fasciné par les insectes et toutes les petites bêtes », nous
confie ce scientifique maintenant âgé de 60 ans en brandissant la
cicatrice sur sa main. « Enfant, j’étais attiré par les très petites
choses. Et je suis toujours resté un enfant », ajoute-t-il en éclatant
de rire. Le sang, l’hôpital et, plus tard, la cicatrice n’ont nullement
refroidi sa passion pour la biologie.
Au contraire, il a consacré au domaine la majeure partie de sa vie
et s’est donné pour mission de contribuer à la compréhension de
la biodiversité terrestre. Cette contribution a pris la forme du
codage à barres de l’ADN qui rend possible d’envisager
l’identification et le catalogage de toutes les espèces vivant sur
Terre d’ici quelques décennies. Une entreprise ambitieuse si l’on
considère que 10 millions d’espèces macroscopiques vivent sur
la planète et que moins de 10 % d’entre elles sont connues.
Mais comment ce scientifique est-il passé de la capture des
abeilles au codage à barres de l’ADN? Né à Kingston, en Ontario,
Hebert a démontré très tôt son talent en entreprenant des études
doctorales à Cambridge, en Angleterre, immédiatement après avoir
obtenu son baccalauréat à l’Université Queen’s. « Je voulais
étudierla biodiversité par l’entremise de la génétique des populations,
explique-t-il, mais au Canada il n’y avait pas à l’époque un programme
dans cette discipline. » Pendant ses années d’études à
Cambridge, il se penche sur l’évolution du système de reproduction
en eau douce tout en continuant à collecter des lépidoptères —
papillons et chenilles — dans ses temps libres. Titulaire d’une
bourse de recherche postdoctorale, il se concentre ensuite sur
les espèces tropicales de ce même groupe. Puis, au milieu de la
vingtaine, il reçoit une subvention de la Royal Society of Great Britain
« me permettant de faire ce que je voulais en Australie et en
Papouasie-Nouvelle-Guinée, ce qui était vraiment bien », se rappelle-t-il.
Mais son voyage d’étude ne se déroule pas comme prévu,
les espèces tropicales étant beaucoup trop diversifiées :
« Elles m’ont jeté au tapis! J’avais collecté assez de
spécimens pour m’occuper jusqu’à la fin de mes jours.
Mon cerveau n’aurait pas suffi à analyser la diversité
des espèces faisant partie de ces formations, admet-il
humblement. Quand je suis revenu au Canada,
j’ai donné ma collection d’insectes tropicaux
et j’ai abandonné jusqu’à l’idée même d’en poursuivre l’étude. »
Il oriente alors ses recherches sur les « systèmes beaucoup moins
diversifiés » du Nord canadien. « J’ai passé 20 ans de ma vie à
m’amuser dans l’Arctique », dit-il avec un sourire. Mais son
incapacité à identifier toute la vie qui l’entoure ne cessera jamais
de le contrarier. Quand, dans les années 1990, on découvre de
nouvelles méthodes qui simplifient à la fois la récupération et
le séquençage de l’ADN, Paul Hebert se dit que la technologie lui
permet enfin de poursuivre le projet que lui et beaucoup
d’autres caressent depuis si longtemps : mieux connaître les
espèces vivantes de notre planète. Il s’attelle donc à la tâche.
S’inspirant du système de code à barres utilisé pour les
produits alimentaires, le professeur de l’Université de Guelph
applique une approche similaire pour classifier les espèces à
l’aide d’un segment normalisé de l’ADN de chacune d’elles.
Le morceau d’ADN ciblé est choisi selon un processus rigoureux
afin d’assurer une identification appropriée de l’espèce.
Même après la mise en œuvre de l’initiative internationale
Barcode of Life — qui a réuni 75 scientifiques des quatre coins
de la planète en juin 2007 —, l’invention de Paul Hebert ne fait
toujours pas l’unanimité. « Il y a des poches de résistance,
admet-il. Certaines personnes mettent en doute l’efficacité de
cette approche. » Néanmoins, la méthode mise au point par le
chercheur semble prometteuse et rallie déjà bien des suffrages
malgré la critique. « Nous voyons le codage à barres de l’ADN
comme un moyen d’alimenter le système taxonomique. Il
permettra d’accélérer grandement la classification des
organismes vivants », affirme le scientifique sans se laisser
démonter. Il veut maintenant poursuivre ses travaux grâce
à un projet de recherche en biodiversité de 150 millions de
dollars au nouveau Biodiversity Institute of Ontario de
l’Université de Guelph, inauguré en mai dernier.