2009-11-20

Le Québec et le commerce électronique : un rendez-vous manqué ?


Le retard du Québec, un constat unanime

Il ne faut pas beaucoup d’efforts, même au néo-Québécois que je suis, pour se rendre compte à quel point la situation de la vente sur Internet au Québec est inquiétante. En effet il semble que tous les observateurs, mis à part la classe politique, partagent le même constat : le Québec est en retard à tous les niveaux en matière de commerce électronique, ce qui représente une menace réelle pour son avenir économique. Alors qu’ils faisaient partie des pionniers des Technologies de l'Information et des Communications il y a encore une dizaine d’années, le Québec et le Canada sont aujourd’hui en queue de peloton pour le développement du commerce électronique, comme le rappelait Hervé Fischer en février dernier dans son billet « Le Canada et le Québec en perte de vitesse ». A tel point que le regroupement de blogueurs Yulbiz de Montréal publiait il y a un an une lettre ouverte au Premier ministre du Québec Jean Charest, l’exhortant à mettre en œuvre au plus vite un plan numérique d’envergure pour éviter au Québec « d’être laissé pour compte dans l’économie de demain ».

Les manifestations de ce retard

Tout d’abord la faible proportion de Québécois qui effectuent des achats sur Internet. Même si l’Indice du Commerce Electronique au Québec publié chaque mois depuis plus de deux ans fait état d’une progression régulière du nombre des cyberacheteurs, ils sont proportionnellement 2,5 fois moins nombreux qu’en France. Cela s’explique à la fois par le manque d’accès à Internet large bande dans certaines régions (20% des internautes québécois doivent toujours se contenter d’une connexion bas-débit), mais aussi par une relative défiance – totalement injustifiée – à l’égard des transactions sur le web. Pour preuve, moins d’un adulte québécois sur deux (45%) considèrent les transactions effectuées par carte de crédit sur Internet comme très ou assez sécuritaires, alors que les cas de fraude sont en réalité plus fréquents « hors ligne ». Il est grand temps de sensibiliser les citoyens à ces problématiques pour faire évoluer les mentalités.
Le retard du Québec se traduit également par le manque d’audace de ses entreprises en matière de commerce électronique, et c’est ce qui constitue selon moi le cœur de la menace pour l’avenir de la province. En effet très peu de compagnies ont vraiment franchi le pas de la vente en ligne, elles sont à peine 12% à proposer à leurs clients des transactions avec paiement sur leurs sites Internet (contre 7% il y a un an). Cela constitue une offre bien faible pour faire face à la demande grandissante des cyberacheteurs, ce qui permet aux concurrents étrangers de rafler la mise sur le marché québécois. 41% des achats en ligne sont effectués sur des sites non canadiens, un chiffre qui ne prend même pas en compte les versions canadiennes des sites américains – pourtant bien souvent gérés de l’autre côté de la frontière, comme l’est Amazon.ca. A ce sujet, je vous invite à lire ou relire cet article du Devoir paru en février 2009 et intitulé « Commerce électronique : le Québec en mauvaise posture ». Faute de prendre position sur le champ de bataille virtuel, les entreprises québécoises prennent le risque de perdre la guerre bien réelle qui les oppose à des concurrents de plus en plus internationaux ! Car je suis convaincu que l’engouement grandissant pour les achats sur Internet et la globalisation des échanges permettra à terme à n’importe quelle PME européenne ou asiatique de vendre ses produits directement aux consommateurs québécois, sans même avoir d’implantation locale. Imaginez alors l’impact sur le tissu économique et l’emploi au Québec !
Enfin, il convient de souligner le manque d’expertise des prestataires de services dans le domaine du commerce électronique au Québec. Mais comment les blâmer quand on sait le peu d’intérêt que portent leurs clients à cet enjeu, pourtant crucial ? Pour illustrer ce point, intéressons-nous aux firmes certifiées « Partenaire Magento Enterprise », du nom de la plateforme e-commerce Open Source la plus en vogue du moment : sur les 66 compagnies recensées, 18 sont américaines, 10 françaises (dont Baobaz) et… 1 seule canadienne ! Ce triste constat m’a été confirmé par la plupart des experts québécois que j’ai rencontrés jusqu’à présent, comme Jean-François Renaud d’Adviso qui fustigeait déjà cette situation en juillet 2008 dans son article « Le commerce électronique au Québec est-il payant ou pas ? ».

Quelles solutions pour le Québec ?

En premier lieu, je ne peux que me faire l’écho de ceux qui interpellent les responsables politiques (tant provinciaux que fédéraux d’ailleurs) et en appellent à une prise de conscience collective des enjeux des TIC en général et du commerce électronique en particulier. C’est grâce à une politique incitative volontaire que Montréal est, entre autres, devenue la capitale mondiale du jeu vidéo, créant ainsi des milliers d’emploi. C’est pourquoi les lobbies et autres associations liées au TIC doivent continuer à exercer une pression sur le gouvernement, pour qu’il prenne enfin des mesures concrètes à la hauteur des enjeux.
Toutefois, il me semble que ce sont les entreprises québécoises qui détiennent la clé du problème. Sans volonté de leur part de s’adapter aux nouvelles règles du commerce international, elles risquent de voir leurs parts de marché directement menacées. Les exemples de leurs concurrents américains ou français devraient pourtant leur ouvrir les yeux. Ainsi 3 à 4% de la vente de détail se fait en ligne aux Etats-Unis contre seulement 1 à 1,5% au Québec. En France, on comptait 48,650 sites marchands actifs en 2008, en progression de 32% par rapport à 2007, ce qui démontre bien que le commerce électronique y a depuis bien longtemps dépassé le cercle fermé des gros joueurs. La technologie n’est plus un obstacle tant les solutions sont nombreuses et adaptées aux différentes problématiques. A mon sens, Internet représente une formidable opportunité pour les compagnies québécoises, par nature bilingues et multiculturelles : en abolissant les frontières (ou presque), le web leur permet d’élargir de manière considérable leur modeste marché local. Combien de nouveaux clients potentiels les attendent dans le reste du Canada, aux Etats-Unis, en France ou encore en Grande-Bretagne ? Car ce n’est pas une utopie : si le commerce électronique implique une solide organisation logistique, il existe bel et bien des exemples d’entreprises qui font de l’argent sur d’autres continents avec leurs sites marchands opérés centralement. J’invite donc les compagnies québécoises à étudier de près ces cas d’affaires, en espérant qu’elles les trouveront inspirants !
Julien Galtier *

Sources :
Indice du commerce électronique produit par le CEFRIO et Phéromone (anciennement VDL2), en collaboration avec Léger Marketing
Fédération E-Commerce et Vente à Distance (FEVAD)

*Julien Galtier est directeur associé chez Baobaz, une agence web française spécialisée en commerce électronique et marketing interactif. Installé au Québec depuis septembre, il crée à Montréal le bureau nord-américain de Baobaz.
julien.galtier@baobaz.com