2007-12-17

Les imaginaires numériques


Il n’existe pas actuellement de Théorie synthétique ou globale des imaginaires numériques, alors que ceux-ci jouent un rôle central dans les arts et les industries culturelles contemporains, donnant à penser que ces imaginaires réactivent des mythes archaïques ou en suscitent de nouveaux, qui ont un impact social, artistique et industriel majeur. Ce domaine de recherche est encore émergent, bien qu’il soit culturellement stratégique. Il existe, certes, une bibliographie d’une dizaine de titres significatifs sur l’imaginaire numérique, et un certain nombres d’articles, soit de gourous trop enthousiastes (par exemple de l’Américain du MIT Ray Kurzweil : Les machines intelligentes (1997) et Les machines spirituelles (1999), soit trop critiques (par exemple les Français Patrice Flichy (L’imaginaire d’internet, 2001), Philippe Breton (Du Golem aux créatures virtuelles, 1995; Le culte de l’internet, 2000),ou Alain Finkelkraut et Paul Soriano, Internet, l’inquiétante extase, 1999), mais ce sont des points de vue de technophiles, ou de technophobes excessifs, ou des déclarations fantasmes, et les points de vue publiés démontrent le manque général d’une théorie et d’un appareil conceptuel critique cohérent pour analyser les mythes sociaux actuels, qui inspirent ces imaginaires, comme aussi bien leur critique.

C’est aujourd’hui la technoscience qui a pris le relais des utopies sociales du XIXe siècle, et dans laquelle nous investissons nos visions du futur. Abandonnant le principe de l’adaptation darwinienne à la nature, nous voyons la technoscience comme le nouveau moteur prométhéen de notre évolution. Il est donc important de faire l’inventaire de ces imaginaires, selon leurs diverses facettes, d’en établir et analyser la configuration mythique générale, et de contribuer ainsi à une meilleure compréhension des imaginaires numériques et de leurs applications artistiques, sociales et industrielles.

Nos hypothèses nous incitent d’abord à repérer et caractériser des attitudes très significatives de ces imaginaires, tels que les explorent les artistes actuels:

- Ils dévalorisent le réalisme et le temps présent pour survaloriser des mondes numériques, dématérialisés, une hyperréalité futuriste dont les références traditionnelles d’espace-temps mutent en faveur de la vitesse, des transformations, de nouvelles logiques non linéaires. Ils sont fascinés par la nouveauté et les mondes futurs, ou la puissance est miniaturisée et s’exerce en temps réel.

- De ce fait, sans doute, ils sont fascinés par les imaginaires scientifiques, qui sont aujourd’hui d’une extrême audace. Ils s’inscrivent ainsi dans leur sillage – ce que j’appelle les «arts scientifiques» - et explorent les domaines de la génétique, de la biologie, des sciences neurocognitives, de la vie et de l’intelligence artificielles, des écosystèmes, de la physique et des mathématiques, des nanotechnologies et de la robotique. Beaucoup d’artistes sont Ils explorent toutes les déclinaisons de la convergence technologique et rêvent d’oeuvres multimédia, qui seraient donc multisensorielles, voire d’un art total et d’immersion dans des mondes virtuels, porteurs d’une nouvelle puissance d’évocation imaginaire.

- Ils abordent les valeurs humaines selon des logiques simplistes, binaires et ingénues, souvent ludiques, tantôt euphoriques, tantôt malignes et catastrophistes, de façon générale assez élémentaires en comparaison des complexités psychologiques qui dominent encore notre culture actuelle.

- Ils s’intéressent à l’interactivité et à tous les types d’interfaces homme/machine, dont les performances les fascinent comme de nouveaux pouvoirs magiques qu’aurait l’homo numericus, désormais dotés d’une puissance chamanique.

- Ils hybrident la captation réaliste et les images de synthèse, de même qu’ils s’intéressent à l’humanisation de la machine et la «machination» du corps humain, ainsi qu’à leur hybridation (empowerment et bionique) et a toutes les expressions de puissance surhumaine qui satisfont nos désirs et qui inspirent ces mondes imaginaires virtuels où nous évadons, comme pour échapper aux limites de notre corps et aux frustrations du monde réel. Explorant les limites de l’imaginaire technologique, ils se rapprochent de la science-fiction.

Ils sont fascinés par la puissance inédite des technologies numériques de communication; ils proposent de nouvelles formes narratives avec des personnages synthétiques, développent des œuvres d’art sur le web (net art), créent des communautés virtuelles, des univers irréels de rencontre, des plateformes collaboratives web 2.00, des expériences médiatiques participatives, etc., qui répondent manifestement à un besoin émotionnel de communication sociale compensatoire des solitudes urbaines. Nous constatons tous que ces médias numériques ont l’effet d’un psychotrope, qui excite l’imaginaire et crée souvent, de ce fait, une véritable dépendance.

Hervé Fischer

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