Le Québec avait pris une longueur d’avance depuis vingt-cinq ans dans le domaine des arts numériques et des effets spéciaux pour le cinéma. Le premier film d’animation par ordinateur en 3D Tony de Peltrie, les expositions Images du futur de la Cité des arts et des nouvelles technologies de Montréal, les Festivals de musique électronique Elektra et Mutek, et maintenant la Société des arts technologiques ont notamment contribué à ce succès.
Mais qu’en est-il-il désormais? Le marché de l’art et les musées boudent cet art dématérialisé, dont la conservation est quasiment impossible. Les arts numériques se tournent donc vers les festivals et les nouvelles formes de spectacle, s’éloignant ainsi de la tradition des arts visuels, qui semble aujourd’hui orpheline. Ils optent pour les industries culturelles qui peuvent les financer et leur trouver un public, se fondant dans le divertissement et les mass médias. Mais ils perdent souvent ainsi cette capacité de questionnement politique, qui avait été si forte dans l’art pendant un siècle, depuis les Impressionnistes jusqu’à l’époque des avant-gardes des années 1970-80.
À l’inverse, sont apparus ce que j’ai appelé les arts scientifiques - bio art, art éconumérique, arts de l’espace, du monde économique, qui questionnent les grands enjeux humains d’aujourd’hui, souvent aux limites de la science fiction : manipulations génétiques, intelligence, vie et nature artificielles, nanotechnologies, équilibres écologiques, astrophysique, exploration de l’espace, libertés individuelles, etc. Ces démarches d’artistes-chercheurs liant art, science et technologies numériques, ne rejoignent encore que des publics initiés, mais à l’opposé des arts dits médiatiques, ils explorent véritablement notre nouvelle image du monde technoscientifique et économique, la nouvelle sensibilité esthétique qui en résulte, et participent aux débats politiques de l’âge du numérique. Prennent-ils le relais des arts visuels? Certes, le numérique renoue avec la tradition orale, plurisensorielle, mais c’est sans la mémoire qui assurait sa transmission. Sommes-nous désormais condamnés à une culture artistique numérique sans mémoire, si ce n’est documentaire? Il se pourrait que ce soient les arts scientifiques, emblématiques de l’âge du numérique, qui prennent le relais de l’histoire de l’art.
Hervé Fischer
(Ce texte paraît dans le Guide des Tendances 2009, éditions Isabelle Quentin)
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