Depuis McLuhan, nous avons pris l’habitude de penser que l’âge de l’écriture et de l’imprimerie s’achèverait aujourd’hui face à la puissance émergeante de la « nouvelle oralité » numérique. Les communications internet et multimédia rétabliraient une multisensorialité que la « Galaxie Gutenberg » avait réduite au visuel de la lecture. Le papier cèderait devant la multiplication des écrans.
Force est de constater pourtant que nous n’avons jamais tant écrit, ni tant lu qu’aujourd’hui. Nous passons quotidiennement des heures à naviguer sur les sites de l’internet, à écrire et lire des courriels, des SMS sur nos écrans de téléphones, à clavarder sur internet, à lire les bandeaux d’information des journaux télévisuels, à écrire et envoyer des c.v., à enregistrer et lire des informations sur les plateformes des médias sociaux, à produire des informations sur les sites web 2.0, etc. On crée des sites web, qu’il faut animer constamment, on rédige parfois quotidiennement, un, voire plusieurs blogs. On écrit sur l’internet comme on n’a jamais écrit sur le papier. On envoyait il y a encore quinze ans une lettre de temps en temps. Aujourd’hui, on écrit des courriels tous les jours à profusion. Même les jeunes sont devenus hyperactifs en SMS. Difficile alors de ne pas désirer maîtriser un minimum d’orthographe, et même des codes savants d’écriture abrégée. Nous avions quelques machines à écrire. Maintenant, on estime à plus d’un milliard et demi le nombre de claviers d’ordinateurs actifs sur la planète, sans compter les claviers de téléphones et d’innombrables équipements et gadgets.
Ne sous-estimons pas pour autant l’impact du multimédia. Mais ses vertus multisensorielles écraniques ne sont peut-être pas aussi grandes qu’on l’a prétendu. On suggérait souvent plus avec moins. La profusion d’images et de sons coupe souvent l’élan de l’imaginaire. Quant à l’interactivité, ses vertus sont indéniables quant aux commodités, mais plus contestables dans le domaine de la création culturelle.
On ne peut plus se passer de tous ces réseaux numériques de la société de l’information dans laquelle nous sommes immergés. C’est en milliards de pages que l’on compte les sites web.
Nous nageons, nous surfons, nous plongeons dans un océan de lettres de l’alphabet. Nous sommes devenus des lettrés du numérique. Paradoxalement, et contrairement à la prophétie de McLuhan, nous connaissons une deuxième phase du développement de l’alphabétisme, encore beaucoup plus extensive que la première, cette fois immersive.
La dangereuse contrepartie de cette deuxième révolution lettriste, c’est sa perte de mémoire irrémédiable, qui tient à sa nature électronique. L’oralité de jadis cultivait au moins la mémoire et nous lui devons l’extraordinaire conservation de textes qui datent de plusieurs milliers d’années. Je n’en dirais pas autant des textes qui aujourd’hui sont confiés à la seule mémoire des disques qu’on appelle « durs », beaucoup plus volatiles que les plaques de terre cuite de jadis.
Hervé Fischer
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