2011-02-21

La révolution 2.0 ?



Devrions-nous parler de jasmin digital pour désigner la révolution politique tunisienne qui a donné le signal en janvier 2011 de l’effondrement des régimes arabes autocratiques? Doit-on faire l’éloge de la révolution 2.0, selon l’expression de Whael Ghonim, un Égyptien directeur exécutif de Google Moyen-Orient qui a fait une page Facebook en hommage à Khaled Said, battu à mort par la police et contribué ainsi au démarrage de la révolution égyptienne le mardi 25 janvier? Google, Twitter, Youtube, Facebook seraient-ils les instruments et les symboles de révolutions politiques libératrices? C’est ce que pense Whael Ghonim qui a déclaré : « J’ai toujours dit que si vous voulez libérer une société, il suffit simplement de leur donner accès à l’internet ». Allons donc ! Voilà une affirmation surréaliste ingénue, bien digne des illusions occidentales. Ce sont certes des catalyseurs, mais c'est malheureusement le sang versé, notamment dans ce cas celui des jeunes, qui a fait ces révolutions en Tunisie, en Égypte, en Libye, au Bahreïn. Et ce sont les grenades, les fusils, voire les bombes qui sont utilisées par la répression. Ni le sang, ni les balles ne sont numériques.
Certes, le numérique constitue une révolution technologique incontestable, aux effets plus radicaux qu’on a bien voulu le dire. Certes, l’internet est un instrument remarquable de développement de la démocratie, un outil très efficace pour les organisations humanitaires et alermondialistes, Est-ce pour autant un droit humain fondamental, comme le déclare Hillary Clinton? Elle-même semble plutôt en contradiction lorsqu’elle réclame que les gouvernements menacés par la rue ne ferment pas l’accès aux sites américains de Google, Twitter, Facebook, MySpace, etc., tout en accusant vertement Wikileaks, et en traitant Julian Assange de criminel. Deux poids, deux mesures, selon les intérêts américains.
Mais nous avons bien vu que la révolution a continué même lorsque l’accès à l’internet et aux réseaux de téléphonie mobile ont été coupés en Tunisie, puis pendant une semaine par le gouvernement égyptien, puis encore en Libye. Bien sûr, Google, notamment, a mis en place des numéros de téléphone gratuits pour accéder à Twitter. Mais cela est demeuré marginal, car nous savons bien, même si les statistiques ne sont pas à jour, que seule une minorité de ces populations dispose d’ordinateurs connectés à l’internet et de téléphones mobiles. C’est plutôt grâce aux médias traditionnels, journaux, radios, télévisions, et notamment grâce à Al Jazeera, que les informations et vidéos numériques ont pu être relayés pour le plus grand nombre.
En fait, ces révolutions ont été intergénérationnelles. Elles résultent de vagues démographiques. Elles ont été le fait des jeunes, des nouvelles générations en rupture avec l’archaïsme des anciennes, qui constituent plus de 50% de ces populations. Certes, elles rêvent d’internet et de sa symbolique moderne. Mais ce sont des jeunes étudiants, travailleurs, souvent des jeunes chômeurs auxquels la société adulte n’a rien à offrir, qui ont fait ces révolutions. Alors que leurs pays connaissent des taux de croissance élevés, ils n’en eu aucune retombée pour eux, car tout cet argent frais a été capté par la corruption des adultes au pouvoir.
Même si l’internet a certainement été un catalyseur, pour provoquer des rassemblements de rue et diffuser de l’information et provoquer de l'indignation contre la répression, ces révolutions sont politiques et non numériques. Elles sont générationnelles. Elles rythment la modernisation de nos sociétés. Mai 68 a été le fait d’une vague démographique, celle des baby-boomers face à une société adulte qui occupait tous les postes. Il n’y avait pas encore d’internet, mais les jeunes gauchistes rêvaient d’autre chose, ce que nous avons appelé « l’imagination au pouvoir » contre des mentalités anciennes. En 1989, la chute du mur de Berlin, la révolte de Tienanmen ont été tout aussi générationnelles. Les révoltes arabes de 2011 le sont à leur tour. En Mai 68, certes, les jeunes étaient fils de bourgeois. En 89, les jeunes d’Allemagne de l’Est voyaient la modernité et la liberté de l’Allemagne de l’Ouest qui leur étaient refusées. Les Nomenklaturas arabes d’aujourd’hui, corrompues et coupées de la réalité, sont de véritables provocations pour les jeunes, souvent éduqués, mais enfermés quant à eux dans la pauvreté et la répression. Voilà la réalité, qui a balayé comme un tsunami les privilèges indécents et la corruption des gens au pouvoir. L’hypocrisie des gouvernements occidentaux, qui ont cru avoir avantage à flatter aveuglément ces potentats arabes, m’a toujours choqué. J’ai participé au Sommet mondial sur la Société de l’information organisé par les Nations Unies à Genève en 2003, mais j'ai refusé d'aller à celui de Tunis en 2005 par ces mêmes Nations Unies et je n’ai jamais répondu aux invitations des associations officielles tunisiennes de multimédia*, connaissant la répression tunisienne qui sévissait contre les libertés d’expression et la censure de l'internet.
Le numérique est un outil efficace de liberté et de développement, mais pas une baguette magique, comme on l’a vu en Tunisie depuis ce Sommet hypocrite et comme on va le voir avec les lendemains difficiles de ces révolutions politiques. La réalité politique pèse plus lourd sur les vies que les simulacres du monde virtuel. L’apesanteur numérique n’est qu’une illusion. Il ne faut jamais l’oublier.
Hervé Fischer
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* Je suis président de la Fédération internationale de multimédia

2011-02-16

e-Cuba: un otro mundo digital


Le congrès international INFORMATICA 2011 qui vient de se dérouler à La Havane a célébré les développements de l'industrie avec quelques deux mille participants de seize pays, et en particulier, bien sûr de l'Amérique latine. Un succès évident. Ce congrès coïncide d'ailleurs avec la mise en place d'un câble numérique sous-marin qui relira désormais l'île au Vénézuéla et donc au web mondial avec beaucoup plus de vitesse et de largeur de bande que ne le permettait le satellite, et cela malgré le blocage archaïque de Cuba qu'imposent encore les États-Unis contre les avis répétés des Nations Unies.
On le sait, non seulement Cuba démontre envers et contre tout un engagement politique et une conscience aiguë des inégalités qui fracturent notre planète, mais Cuba a bâti aussi une faculté d'informatique très importante et donc une grande expertise digitale - une expertise unique dans les Caraïbes. L'île a développé des services numériques locaux pour soutenir ses priorités en santé publique, éducation et culture, et cela malgré ses ressources financières très limitées. Il y a à Cuba un ministère dédié à l'informatique, ce qui est rare, des entreprises et des institutions telles que Citmatel, fournisseur de services internet et de solutions multimédia (notamment Bazar de Cuba, Soy Cubano pour le commerce électronique, et des produits pour l'enseignement à distance), Desoft pour les logiciels, Cubarte pour la culture, l'ICAIC pour le cinéma, Cedisap pour la santé, Avante, Disaic, Datazucar, Copextel, et beaucoup d'autres qui constituent un pôle de recherche et développement pour la production de technologies, de services et de contenus qui assurent à Cuba une position enviable. En outre, le projet Nova lancé en 2009 par le gouvernement a permis de développer un système opératoire très complet basé sur le logiciel libre, "fait par les Cubains pour les Cubains", qui permet d'échapper au coût des licences Microsoft.
D'où cette idée qui semble s'imposer que Cuba prenne l'initiative de développer des applications numériques alternatives à celles du Nord pour le développement du Sud. Lorsque nous observons l'inventivité africaine pour développer des services mobiles performants de banque et de micro-payement (Wizzit*, m-pesa, Safaricom), de vérification de l'authenticité des médicaments (mPedigree*), de santé publique, d'éducation, de prévention, d'emploi, etc., nous voyons bien que ce continent, qui compte aujourd'hui sans doute plus de téléphones cellulaires que de prises électriques, est devenu un incontestable développeur d'applications technologiques mobiles pour les pays émergents. Cuba a la pleine capacité de contribuer en première ligne à la création de cet "autre monde possible" dont nous rêvons, dans sa version numérique alternative à celle du capitalisme sauvage des pays riches. Il faut bien sûr espérer d'abord que Cuba rejoindra rapidement les autres pays d'Amérique latine pour la pénétration du téléphone mobile à des prix plus compétitifs qu'aujourd'hui. Et Cuba trouvera certainement de nombreux appuis stratégiques dans ce développement auprès des Nations Unies (coopération Sud-Sud soutenue par l'UNDP), des Fondations et des PME du Nord. La Fédération internationale des Associations de multimédia constitue une plateforme stratégique à cet égard. Cuba devrait désormais compter avec trois domaines d'excellence exemplaire pour les pays émergents: la santé, l'éducation et le numérique pour le développement - trois objectifs qui sont d'ailleurs étroitement liés, car le numérique est devenu une technologie basique pour la santé comme pour l'éducation. Les besoins et le marché du numérique de développement sont immenses, encore plus stratégiques que ceux des industries capitalistes, et beaucoup plus urgents pour l'humanité qui souffre d'une extrême pauvreté.
Hervé Fischer
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* Innovations primées par l'Observatoire Netexplorateur de Paris.

2011-02-14

¡Viva e-Gutenberg!


Hemos reconocido el choque digital con mucha fascinación e esperanza. Pero es tiempo de combatir algunas ideas superficiales demasiado difundidas. McLuhan fue el último gran pensador de la edad del fuego, que incluye la matriz de la electricidad. El no pensó la innovación de la numérica, que no es un desarrollo de la electricidad, no es una energía, pero sí es un código binario. Por eso, la numérica no constituye una ruptura en relación al alfabeto fonético, pero sí una reducción de 26 o 30 letras a 2.
Es una simplificación que resulta en una increíble potencia instrumental.
Nosotros debemos a la imprenta de Gutenberg la invención del realismo, el auge del racionalismo crítico y del humanismo, los fundamentos (siguiendo el mito de Prometeo) del Siglo de las luces, de la creencia en la libertad y en el progreso humano. Más allá de la crisis de la post-modernidad y de su nihilismo desencantador, sería entonces un terrible error sacrificarlos en nombre de una magia de la numérica, en el cual el neo-idealismo es evidente, y la virtualización nos pone en riesgo de conducirnos a un nuevo oscurantismo.
La utopía tecnocientífica de hoy en día es también ingenua y puede devenir también perniciosa como lo fueron las utopías sociales del siglo XIX. La numérica ofrece extraordinarias virtudes de creación de contenidos, comunicación y acceso multimedia en el espacio virtual, pero crea una cultura líquida, sin memoria, emotiva, lúdica. Es necesario defender hoy la importancia de los contenidos y rechazar que el medio sea el mensaje, según la fórmula famosa de McLuhan. El cantó como las sirenas pérfidas y ha sido muy genial en su tiempo, pero demasiado escuchado en nuestros días.
La numérica llama a una fascinación crítica y no implica de ninguna manera renunciar al libro, siendo uno de los mejores apoyos del tiempo detenido que exige el pensamiento crítico. Por el contrario, lo promueve, lo difunde, le sirve. El e-book, que sea el iPad o el Kyndle, o tantos otros, no es una ruptura con el libro de papel, sino una evolución, que no excluye a este, sino que lo completa. El éxito comercial que encontrón hoy se debe a una imitación más fiel del libro de papel. Y lo numérico no es una nueva oralidad multimedia borrando la impresa. Se lee y se escribe más que nunca, con la tecnología de reproducción: emails, sms, chat, blogs, twitter, social media, etc. Gutenberg toma una nueva importancia en la numérica. Más dicho: ¡es el triunfo de Gutenberg !
Hervé Fischer