Dans les films de science-fiction, nous voyons évoluer des êtres chimériques : à 90% de l'espèce humaine, mais avec des traits morphologiques d'espèces animales dans les visages et les mains - notamment des protubérances, oreilles, cornes, pilosités, griffes.L'occident chrétien a institué une sacro-sainte séparation entre l'homme et les animaux, mais qui s'est opposée à la plupart des mythologies et autres religions dites païennes, y compris l'hindouisme, à la tradition grecque des minotaures, sirènes, satyres, et autres centaures, aux animaux fabuleux des cultures du Moyen-Âge - loups-garous, bêtes, vampires, etc. Et nous continuons aujourd'hui aussi bien avec le monde de Walt-Disney qu'avec les Jedi, Teki, Yoda et autres personnages vedettes de la Guerre des étoiles de George Lucas. Or il se trouve que la recherche scientifique contemporaine s'intéresse de plus en plus aux embryons chimères, et que la loi vient d'autoriser en Grande-Bretagne le Dr Stephen Minger, du King's College de Londres à poursuivre cette exploration (avril 2007). De quoi s'agit-il? De créer des embryons hybrides cytoplasmiques, notamment à partir d'ovules de vaches, de brebis, de souris ou de lapins, dont on remplace le noyau par une cellule humaine et dont on assure la fusion grâce à un choc électrique. Ce processus assure la réunion du matériel génétique de l'ovule animale (mitochondrie) et de la cellule humaine. L'embryon hybride - qu'on appellera chimérique, parce qu'il réunit les informations génétiques de deux espèces différentes -, et dont on voudrait qu'il soit à dominante humaine la plus grande possible -, commence alors à se reproduire par division cellulaire et on en extraira des cellules souches à visée thérapeutique, ce que seul autorise la loi actuellement, puis le laboratoire a l'obligation légale de détruire ces embryons hybrides au bout de deux semaines.Nous sommes ainsi aux limites extrêmes de la transgression, tout à la fois génétique et civilisationnelle. La morale traditionnelle s'y objecte, la loi hésite, et selon les pays, autorise, restreint ou interdit formellement. Et nous rejoignons ainsi l'imaginaire mythique de l'humanité, tout à la fois reptilien et plus actuel que jamais, lorsqu'on aborde les utopies posthumaines, transhumaines, extropiennes, etc. Le silicium s'allie au carbone, la machine à l'homme, la chair au métal, et nous modélisons virtuellement des modes de vie et des univers alternatifs. Bien entendu, c'est à ces questions que s'intéresse aussi le bioart, et notamment les démarches transgénétiques d'artistes tels qu'Eduardo Kac, morphologiques de Marta de Menezes, ou les constructions biomécaniques du groupe australien Symbiotica (Oron Catts, Ionat Zurr, Guy Ben Ary ).
Humanité, animalité, machinité, hybridité
À ce stade, même si les méthodes, les modes d'expression et les buts recherchés peuvent varier, s'hybrider, ou s'opposer considérablement entre art, science et science-fiction, il est clair cependant que c'est la même obsession cyberprométhéenne qui anime art, science et science-fiction. Il semble que la nature même de cette hybridité, que ce supercerverau chimérique, auxquels nous aspirons tant, tende à allier les caractéristiques de l'humanité, de l'animalité (avec ses capacités sensorielles qui dépassent les nôtres) et la machinité (avec la surpuissance numérique que nous en attendons).On pourrait donc l'énoncer ainsi : dépasser nos limites, explorer le "mur du futur", ou ce que science et science fiction appelle la Singularity, pour créer et questionner la destinée humaine. Les arts scientifiques et les œuvres de science-fiction (littérature ou cinéma) se rejoignent alors tout particulièrement en ce sens qu'ils s'inspirent tous deux de la recherche scientifique et en relaient les grands mythes et les grandes questions au cœur de notre création culturelle du XXIe siècle. Hervé Fischer.
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