Nous avons vu se développer depuis un ou deux ans un regain exubérant de projets et de spéculations sur le potentiel des technologies numériques. La Silicon Valley bruisse à nouveau de toutes sortes de rumeurs et de fièvres entrepreneuriales, évoquant les bons vieux jours d’avant la bulle spéculative de 2000. Les grandes compagnies se consolident par des rachats souvent spectaculaires. Microsoft, soumis à la concurrence agressive de Google, veut racheter Yahoo, tandis que AOL peine à se redéfinir. Les petites entreprises de niche veulent imiter le succès de Youtube et autres innovateurs couronnés par le succès.
Robotique, bionique, biotique, empowerment, intelligence, mémoire et vie artificielles, data mining et télésurveillance progressent exponentiellement. Les moteurs de recherche sur le web sont les vedettes de l’industrie actuelle. Il faut souligner aussi que la technoscience est désormais entièrement numérique, que ce soient la physique, l’astrophysique, la modélisation moléculaire chimique et pharmaceutique, les reconstitutions archéologiques, les matériaux intelligents, la robotique, l’urbanisme, la météorologie ou l’écologie. Sans compter les armements militaires et l’exploration spatiale, qui sont évidemment très demandeurs en électronique et en informatique.
La vie quotidienne elle-même est de plus en plus arrimée aux technologies numériques, qu’il s’agisse de l’information politique, financière, bancaire, culturelle, éducative, du divertissement et du tourisme, des réservations de billets d’avion ou de train, comme de la vie familiale, privée et même intime. Les moyennes d’utilisation quotidienne de l’internet dans les pays développés sont en pleine croissance, atteignant souvent deux heures par jour. Beaucoup de foyers y comptent plusieurs ordinateurs, celui du père, celui de la mère et ceux des enfants (incluant les consoles de jeu, les lecteurs numériques de cédéroms et de DVD. Bref, toute la vie sociale, financière et industrielle est désormais dépendante de l’informatique. Nous sommes entrés de plain pied dans l’âge du numérique et on peut diagnostiquer sans risque de se tromper que nous sommes bien confrontés à une révolution anthropologique aussi importante que celle qu’initia l’âge du feu dans l’histoire de l’humanité.
Conséquemment, les outils numériques se banalisent déjà.
Les logiciels à code source ouverts gagnent du terrain, notamment grâce à leur adoption dans des pays comme la Chine, ou par des institutions et entreprises majeures. Mais nous n’assistons pas au balayage des logiciels à code propriétaire, que plusieurs espéraient, et cela tient beaucoup au fait que ces logiciels demeurent encore souvent peu conviviaux et constituent de pâles imitations des logiciels commerciaux, moins développés, moins performants, et moins compatibles avec les innombrables logiciels et plugs in disponibles sur le marché, souvent téléchargeables gratuitement.
Bien entendu, comme dans la société réelle, la criminalité s’y développe aussi plus vite que la police et le droit. Et cela constitue un très grave problème, dans la mesure ou les serveurs situés dans des pays échappant au contrôle international, et les dispositifs peer2peer quasiment insaisissables, sont abondamment utilisés par les mafias, les organisations de prostitution, les réseaux de pédophilie, les narcotrafiquants, les hackers, les terroristes, etc. Il est extrêmement difficile d’élaborer un droit, nécessairement international des usages licites et interdits sur le web, et encore plus de contrôler et sanctionner les délits et crimes. L’institution du droit est constamment en retard sur ce qu’il faut bien appeler un nouveau Far West, sans shérifs ou un no man’s land hors la loi. Trafics, harcèlements, vols d’identité y sont monnaie courante.
Il faut sociologiser le cybermonde, échapper tant que possible à l'apesanteur euphorisante qu'on croit y découvrir, et en mesurer les structurations politiques, les forces sociales, l'imbriquation instrumentale avec la réalité économique, utilitariste, voire perverse et criminelle qu'elle véhicule. Il s'agit bien d'une utopie technoscientifique, qui a pris le relais des utopies sociales et politiques du XIXe siècle, aujourd'hui abandonnées pour cause d'échec catastrophique, mais qui n'est pas davantage innocente. L'âge du numérique est porteur d'espoir, de progrès, certainement, mais aussi de tous les travers de l'humanité. Et il est de plus en plus puissant. Attention à CyberProméthée: l'homme créateur, mais aussi mi par un dangereux instinct de puissance, qu'il va falloir apprendre à maîtriser.
Hervé Fischer
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