La culture migre-t-elle dans les réseaux numériques? J'en évoquais dans mon blog précédent la prétendue merveille. Mais je suis certes de ceux qui se méfient de l'intégrisme technonumérique, comme de toute utopie trop radicale, même si je milite pour le numérique en art et dans les productions culturelles depuis les années 1980. Et ce n’est pas sans raison. Car, il faut voir aussi le talon d’Achille du numérique. Et l’enjeu est important. Nous avons tous encore les oreilles qui bourdonnent de ce refrain des naïfs du numérique, qui dénonçaient si récemment encore la fragilité du papier et du celluloïd pour réclamer que tous les livres et tous les films soient enfin numérisés. Cela ressemblait à une course contre la montre visant à sauver nos mémoires culturelles grâce à la magie du numérique. Nous y avons investi beaucoup de conviction et d’argent, dans un domaine où les budgets sont pourtant limités. Mais il faut aujourd’hui l’admettre : jusqu’à preuve du contraire, il n’y a rien de plus vulnérable et éphémère que la mémoire numérique. Lui faire confiance, c’est presser le pas vers une culture destinée à l’oubli. Un danger majeur, car nous avons perdu aussi les vertus de mémoire des civilisations orales.
Une culture sans mémoire?
N’oubliez pas, vous tous qui avez en main ces petites merveilles que sont les appareils photos numériques, d’imprimer vos photos souvenir sur du simple papier, sous peine de ne plus avoir rien à montrer à vos enfants, qui vous demanderons des photos de leur enfance. Dans l’état actuel, le numérique est le moins recommandable des supports de conservation. Il est amusant de voir l’évolution technique des machines à numériser depuis une vingtaine d’années : les premiers scanners ressemblent à des machines antédiluviennes; le futur est ce qui vieillit le plus vite!Mais cette histoire des technologies ne serait qu’anecdotique, si elle ne reflétait pas la même accélération du progrès des logiciels et des supports électroniques, qui deviennent désuets à peine nés. Le progrès cannibalise la technologie et détruit ce que nous lui confions. Les lois du marché y ont aussi leur rôle.
L'homme lettré
Alors, est-ce pour de bon la fin du papier, de l’écrivain papier, du livre papier, et des bibliothèques? Les avons-nous construites, ces dernières années, avec tous ces budgets douloureux à obtenir, à contre-courant de l’évolution, de l’évidence des nouvelles merveilles du numérique et des besoins des nouvelles générations? Le livre va-t-il devenir un simple artefact de collection, de musée, de décoration, comme dans cette colonne de livres dressée dans l’entrée de la vieille bibliothèque de Prague, que les groupes d’écoliers photographient avec leur téléphone cellulaire, comme un zèbre dans un zoo? L’homme lettré cède la place à l’homme numérique, l’alphabet même va-t-il céder à la pression incessante et aux flux omniprésents de l’image, qui vaut désormais plus que mille mots?
Hervé Fischer
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