2008-08-14

L’avenir des bibliothèques publiques à l’âge du numérique


Le congrès mondial des bibliothèques publiques, organisé par l'IFLA et l'ASTED vient de se tenir à Québec* Le grand enjeu actuel est évidemment le défi des technologies numériques, qui semble r3emettre en question le papier, le livre et les bibliothèques. Le baiser du numérique sera-t-il fatal aux bibliothèques publiques, où au contraire sera-t-il reçu comme une séduisante invitation à un mariage fécond avec le Web et les robots-bibliothécaires? Cela dépendra certes des hommes plus que des technologies. Mais il ne fait pas de doute que nous allons rencontrer des défis majeurs et inédits, dont l’issue va exiger beaucoup de réalisme et de créativité de la part de nos experts.Allons-nous devenir des « librairiens » d’une nouvelle planète? Pourquoi pas! Il s’agit incontestablement d’une révolution des technologies et des mentalités, mais dont nous devons aussi apprendre à mieux cerner les paramètres assurément complexes et les risques incontestablement réels.Et la difficulté est d’autant plus grande que les changements accélèrent! Lors du Salon du livre de Francfort de 2007, l’encyclopédie allemande Brockhaus investissait encore dans la promotion de son édition papier en nombreux volumes reliés. Quelques mois plus tard, elle annonçait son transfert en ligne avec quelques 300 000 articles et disait ne plus pouvoir garantir la parution de son édition papier. Voilà tout un symbole de notre époque. Le salut passe-t-il donc par l’internet?

En fait, les bibliothèques ont toujours dépendu de trois facteurs principaux, qui sont étroitement liés :
- les technologies de communication
- les structures sociales
- les modes de socialisation.
Elles ont commencé, si je puis dire, par ne pas exister, dans les sociétés de tradition orale, et il est très légitime et prudent de se demander si elles ne vont pas disparaître bientôt.

Du papier au numérique

Nous passons aujourd’hui du papier au numérique, au moins dans une certaine mesure. Ce changement de technologie bouleverse nos comportements, et donc nos institutions.
Les réseaux souterrains de caves de nos bibliothèques publiques remontent à la surface et prennent place dans les réseaux du web.
Les bibliothèques publiques devraient-elles alors épouser la modernité numérique et abandonner la monumentalité d’acier, de briques, de verre et de béton, pour migrer dans la dématérialisation virtuelle? Paradoxalement, il n’en est rien! Les nouvelles bibliothèques publiques se multiplient de nos jours. Certes, elles évoluent architecturalement, mais sans rien perdre de leur monumentalité, souvent bien au contraire. En fait, les gouvernements investissent conjointement dans les deux architectures : matérielle et virtuelle.
Les bibliothèques sont des temples de nos civilisations de l’écrit et demeurent des métaphores de l’univers. Le livre a souvent été une métaphore de la ville, qui est liée à son développement. Jorge Borges parlait des bibliothèques comme de Tours de Babel et de labyrinthes. Je présenterai plutôt aujourd’hui le Web comme une extension électrique de la ville à l’échelle planétaire, tant les réseaux numériques calquent les réseaux électriques de notre planète.
La création de ces architectures du Web semble prendre la relève métaphorique des architectures matérielles de nos bibliothèques traditionnelles. Et dans une étonnante audace de nouveaux citoyens de l’âge du numérique, nous franchissons l’Electronic Frontier comme de nouveaux conquérants du nouveau monde électronique. Nous entendons même créer des mondes nouveaux, des mondes virtuels. Avez-vous déjà pris votre carte d’abonné à
la Grande bibliothèque publique de Second Life?
Migrons-nous vers des mondes meilleurs?

L’internet est-il une menace?

Alors, faut-il croire que l’internet soit véritablement une menace? Nous dirigeons-nous d’un pas accéléré vers un « monde sans papier », selon les propos futuristes de l’Américain Peter Drucker ou du Français Michel Serres? Serait-ce un grand progrès écologique, pour nous, ici, dans un pays d’immenses forêts que nous détruisons pour imprimer en masse le meilleur et le plus ordinaire? Pourtant Peter Drucker aimait se faire photographier pour les médias devant son imposante bibliothèque, comme une connotation de son expertise de futurologue.
Devons-nous admettre que le numérique nous annonce une nouvelle oralité, un néoprimitivisme, comme avant le temps de Gutenberg ? Allons-nous, après la réduction de nos échanges à la communication visuelle qu’a analysé McLuhan, revenir à un monde multisensoriel, moins rationnel, plus émotif et plus événementiel? Plus instantané? Peut-être moins réfléchi, mais plus intense? Et plus convivial? Un monde de liens virtuels, tel un hypertexte planétaire et nerveux?
Bref, un monde sans papier et sans bibliothèques? Nous numérisons tant les livres, qu’ils semblent être aspirés dans les écrans cathodiques de nos ordinateurs. Les bibliothèques, une fois leurs livres scannés se trouvent-elles dévalorisés, comme des entrepôts de garantie des masters originaux, qui deviendront peut-être des lieux déserts?
Le web et les ordinateurs vont-ils accaparer de plus en plus la fonction d’accès et de service au public qui était le mandat sacro-saint des bibliothèques? La question prend toute sa dimension, lorsqu’on pense à la multiplication des DVD, des livres en ligne lisibles sur écran et téléchargeables, des e-books, ces livres électroniques, dont on nous annonce à répétition le succès incontournable – mais toujours reporté – depuis vingt ans.
Allons-nous peu à peu remplacer sur nos étagères nos livres papier par des DVD multimédia interactifs et enchanteurs, bardés d’images, de films et de musiques? Amazon, qui a su nous surprendre et imposer le commerce électronique des livres nous propose désormais le Kindle magique, ce livre électronique qui imite à merveille la matité du papier et de l’encre, en format de poche, avec une sonorisation qui nous fait entendre le bruit des pages virtuelles que l’on croit encore tourner. Sera-ce enfin le simulacre parfait du livre? Mais capable cette fois d’en contenir une centaine dans le même format, voire une infinité que l’on peut télécharger à volonté, avec effets spéciaux et multimédia enrichi? Le produit est-il encore décevant? Peut-être, mais comment douter que dans cinq ans, dans dix ans, ce sera une réussite totale? Un jour viendra où vous pourrez afficher et lire sur votre Kindle de poche tous les livres, tous les manuscrits, toutes les images, toutes les revues, tous les journaux du monde et si vous êtes aveugle, en écouter la lecture à voix haute dans votre langue préférée. Vous résistez encore à cette idée? Les nouvelles générations n’auront pas les mêmes préjugés.

Hervé Fischer

1 commentaire:

Clément Laberge a dit...

Bonjour Hervé,

C'est un plaisir de te lire sur ce sujet qui me passionne davantage au fur et à mesure que j'en découvre la réticularité. J'y ai travaillé en France et je viens de faire le choix de revenir au Québec où je pense que les conditions de réflexion-exploration-innovation seront meilleures.

Je souhaite que nous ayons bientôt l'occasion d'en discuter ensemble.