2010-02-15

Même les mèmes ne m’aiment pas!


Reprenant de façon caricaturale le modèle de la génétique, Richard Dawkins* prétend que ce sont les mèmes qui mènent le monde. Nos têtes seraient le milieu fertile mais passif hébergeant une contamination virale d’unités cognitives, qui s’étendrait par réplication et sélection darwinienne. Exemple : Dieu, la démocratie, n’importe quelle idée, se propagent par réplication. La théorie des mèmes de même? Je n’en suis pas sûr. J’aurais tendance à dire que c’est une bêtise cognitive de plus, que la sélection naturelle ne manquera pas d’éliminer!
Mais il faut plutôt s’interroger sur son succès actuel. Nous pensons par métaphores et analogies. Nous sommes même incapables de penser autrement. Ainsi expliquons-nous les lois de l’univers en recourant au modèle d’un organisme vivant, d’un mécanisme d’horloge ou d’un cluster d’algorithmes. L’originalité de Dawkins consiste donc à singer la théorie génétique pour expliquer la diffusion des idées, comme si la noosphère relevait de la biologie. La tentative peut à coup sûr être intéressante, comme méthode heuristique. Mais comme toujours, il faut garder conscience des limites du recours à la pensée analogique, qui peut être valable comme alternative à d’autres analogies devenues stéréotypées, aussi longtemps qu’on ne la prend pas à la lettre. Ce que Dawkins, manifestement trop séduit par son idée, fait sans retenue.
Il n’est pas le premier à vouloir tout expliquer par l’imitation. Dans son livre Les lois de l’imitation (1890) Gabriel Tarde, comme Dawkins, prenait les êtres humains pour des somnambules. À l’opposé de Durkheim, qui mettait de l’avant l’influence de la société sur les individus, Tarde partait des individus et fondait sa psychologie sociale sur la réplication des idées qui se répandraient de cerveau en cerveau par une sorte d’onde magnétique. Le magnétisme était à l’époque un phénomène physique fascinant, qui influença aussi Charcot et les thérapeutes de l’hypnotisme. Maintenant, c’est la biologie qui est en vogue. On sait que même si Tarde, fut glorieusement élu au Collège de France, sa théorie de l’imitation n’a eu aucune postérité. Elle n’en méritait pas.

Les poux

Il en sera de même de Dawkins. Les idées et les gènes n’ont rien de commun en dehors du fantasme analogique dans lequel il a voulu les confondre. La réplication des gènes suppose un programme spécifique ou différentiel de l’ADN et des contacts physiologiques dont la diffusion des idées devrait alors trouver un équivalent dans les médias ou dans le magnétisme de l’air… Dawkins ne nous donne pas d'explication scientifique de la réplication. La parodie apparaît vite intenable. Comme Tarde, Dawkins est incapable d’expliquer par la réplication la création de l’inédit. La loi de la divergence échappe autant à l’un qu’à l’autre. Même si les idées ne nous viennent pas du ciel (ou du diable), ou de l’éther eidétique platonicien, même si je suis de ceux qui soutiennent que les idées naissent électro-chimiquement du cerveau et trouvent leur formulation par réplication sous l’influence des modèles culturels dominants, il demeure que les idées nouvelles, celles qui nous font évoluer, s’inventent par la contestation individuelle, le déni, la divergence, que la réplication ne saurait expliquer, et selon des modalités qui n’ont rien à voir avec celles d’un darwinisme génétique, qui suppose une meilleure adaptation accidentelle. Dawkins nous plonge dans un brouillard irisé, avec une théorie fiction que nous rejetons d’autant plus qu’elle est antihumaniste, fataliste, inacceptable du point de vue de la liberté et de la créativité humaine. Les mèmes parasiteraient nos cerveaux comme les poux nos cheveux, à notre insu, sans qu’on ait aucun moyen à leur opposer, puisque ce sont eux seuls qui sont les acteurs et peuvent s’éliminer les uns les autres au profit du plus fort. Dawkins a eu le mérite d’être un biologiste athée. Mais on ne saurait davantage hypostasier la génétique que la religion. Ce ne sont pas les gènes qui ont créé l’univers! Admettons que les gènes font partie d’une complexité beaucoup plus grande qu’eux et de luttes de pouvoir qui peuvent avoir facilement raison d’eux.

Les petits lutins


Une fois de plus – c’est devenu une tradition – on observe que les biologistes qui se prennent pour des philosophes et tombent dans la métaphysique biologique, atteignent vite leur principe de Peter. Les mèmes ne méritent pas plus notre attention que les petits lutins, sauf du point de vue de la mythanalyse. Pourquoi l’homme cherche-t-il toujours de nouvelles représentations et justifications de son aliénation : religieuse, politique, sociologique, psychanalytique, et maintenant génétique? À quoi cela sert-il de militer pour l’athéisme, comme Dawkins, si c’est pour tomber dans une fable encore plus aliénante que celle de Dieu? Les mèmes n’existent pas plus que les dieux, Monsieur Dawkins! Voilà bien une débilité étonnante. Il est temps que les hommes s’assument eux-mêmes sans s’inventer de si mauvaises raisons de renoncer à leur liberté et à leur responsabilité créatrice.
Hervé Fischer

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(*) Je ne suis pas même intéressé à expliquer les termes de sa théorie. Je recommande aux curieux de consulter Wikipedia. En voici un extrait :
Un mème (de l'anglais meme ainsi que du français même) est un élément culturel reconnaissable (par exemple : un concept, une habitude, une information, un phénomène, une attitude, etc.), répliqué et transmis par l'imitation du comportement d'un individu par d'autres individus. L'Oxford English Dictionary définit le mème comme « un élément d'une culture pouvant être considéré comme transmis par des moyens non génétiques, en particulier par l'imitation ».
Le terme de mème a été proposé pour la première fois par Richard Dawkins dans Le Gène égoïste (1976) et provient d'une association entre gène et mimesis (du grec « imitation »), en même temps qu'un jeu de mot sur le mot français « même ». Les mèmes ont été présentés par Dawkins comme des réplicateurs, comparables à ce titre aux gènes, mais responsables de l'évolution de certains comportements animaux et des cultures.
L'étude des mèmes a donné naissance à une nouvelle science : la mémétique. (sic!)

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