
Alors que je dénonce depuis ses débuts la naïveté qui incite tant de gens à étaler leur vie privée dans Facebook, sans se soucier de tous les usages malveillants et effets pervers auxquels cette convivialité complaisante peut donner lieu, force est de constater je prêche dans le désert. Je ne suis pourtant pas le seul; plusieurs organismes publics lancent de nombreux avertissements face à l’abus de ces médias sociaux qui imposent à leurs usagers des contrats aussi discrets qu’inacceptables quant au droit qu’ils se donnent de céder – pour ne pas dire explicitement monnayer - ces informations à des compagnies de télémarketing ciblé. Mieux encore : toute personne malveillante, tout futur employeur, peut accumuler des informations ciblées sur des millions de personnes par simple data mining. Facebook est ouvert comme un moulin. Et il est éventuellement impossible de récupérer et effacer avec certitude ces données parfois intimes. Facebook, par exemple, s’est donné le droit de les conserver sans limite de temps, à votre insu.
Il est clair qu’aucun avertissement – venant des institutions publiques et des générations plus averties - ne semble avoir d’effet face à la nouvelle génération, qui ne voit aucun mal à s’abandonner délicieusement dans cette transparence numérique. Inutile d’y résister, ajoute-t-elle : c’est le sens de l’évolution. D’ailleurs, la technologie est trop puissante et ce serait une bataille perdue d’avance - et ringarde – que de vouloir échapper au cristal du cyberespace et à son ubiquité. Nous nous retrouvons dans une cosmogonie sociale sans ombres, comme dans les peintures primitives. Sans recoin caché. Sans profondeur. L’utopie de l’innocence numérique est puissante.
Il est vrai que le succès explosif de ces médias sociaux (Facebook revendique aujourd’hui 400 millions d’inscrits), leurs vertus incontestables de convivialité, leur usage fréquent pour les bonnes causes, les campagnes politiques, humanitaires, ont imposé une image très positive. Il serait même devenu désuet d’échanger ses courriels dans le vieux cybermonde des messageries électroniques plutôt que sur ces nouvelles places publiques de l’âge du numérique. Bien sûr, si le cyberespace est un paradis, il est beaucoup plus séduisant que le monde réel que dominent encore la suspicion et le mal. Mais comment le croire, alors que la cybercriminalité, le vol d’identité, la prédation sexuelle y sont si présents!
Nous sommes confrontés, au sein de la même Église numérique, à un schisme générationnel entre les immigrants de la vieille génération, dont je suis, encore prudents, méfiants, et les nouveau-nés du cybermonde, pour qui l’oxygène qu’ils respirent est tout naturellement numérique. Inutile de vouloir les raisonner : c’est une question de foi, aveugle comme toutes les fois, frôlant même inconsciemment l’intégrisme numérique.
Les nouveau-nés du cybermonde
J’avoue être de l’ancienne foi, celle de la fascination critique; trop conscient de l’immense valeur humaniste du numérique pour ne pas craindre ses dérives et ne pas veiller à ses bons usages sociaux. Et je ne doute pas qu’avant peu les démocraties dignes de ce nom encadrent légalement les pratiques abusives des médias sociaux. Après tout, au paradis, on n’a plus rien à cacher et on se promène sans doute tout nu – c’était le cas dans le paradis terrestre -; mais ici-bas, la loi interdit de se déambuler nu dans la rue. Alors pourquoi la tendance actuelle est-elle de se dévoiler sans retenue dans l’espace public des médias sociaux? Et ce n’est pas seulement une question de pudeur sociale : ces anges innocents donnent la clé et le code d’entrée de leur maison aux voleurs. Le goût sucré du rêve risque de tourner prochainement à l’amertume du cauchemar numérique si une législation réaliste ne lui est pas opposée.
Hervé Fischer
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