Ce corps numérique appelle à l’intimité. Il évacue les pudeurs. Après tout, au paradis, on n’a plus rien à cacher, comme dans les camps naturistes – c’était le cas du paradis terrestre -; mais ici-bas, la loi interdit de se déambuler nu dans la rue. Alors pourquoi la tendance actuelle est-elle de se dévoiler sans retenue dans l’espace public des médias sociaux, voire d’y devenir exhibitionniste? Et pourquoi ces anges innocents donnent-ils la clé et le code d’entrée de leur maison aux voleurs. Cette euphorie numérique risque de tourner à l’amertume du cauchemar si une législation réaliste ne lui est pas opposée. Il faut croire que la nouvelle génération des adolescents se croit au paradis terrestre réactivé.
Y-a-t- il encore un peu d'intimité dans le cyberespace? Je ne le crois pas. Tout est enregistré et retraçable. La webcam se charge avec Google de compléter cette transparence du cybermonde qu'on appelle l'information, le panopticon, l'objectivité. On ne peut plus nier cette puissance du numérique, ni dans son aspect positif, ni dans l'effet pervers des médias sociaux auxquels on se confie dans l'intimité et qui s'étale ensuite sur les écrans. Voilà bien aussi l'erreur de ceux qui croient que leurs courriels demeurent privés grâce à un mot de passe, alors que Google les indexe pour vous aider à les gérer et que Facebook vous garantit la pérennité de tout ce que vous lui confiez, même si vous vous déinscrivez.
Pas plus d'ombre dans le cybermonde que dans la peinture primitive : tous les logiciels sont véristes. Même dans les abîmes insondables sous le surf de l'internaute, même dans les profondeurs du web que le commun des mortels ne voit pas, les projecteurs des spécialistes éclairent comme en plein jour.
L’ingénuité de nos adolescents nous apparaît aussi comme un symptôme criant du désir de cette solidarité tribale originelle que nos sociétés de masse semblent avoir détruite. Seul un profond sentiment de solitude peut inciter des jeunes et maintenant des citoyens de tous âges à aller mettre sur une plateforme publique d’échanges toutes sortes d’informations personnelles au vu de tous et sur lesquelles ils perdent contractuellement tout contrôle.
Et le numérique appelle aussi au débordement de la sexualité. La pornographie est devenue un must du cyberespace. Nous savons tous qu’il existe une virtualité rose, qui est devenue plus que réelle : obscène. Plus réaliste que la réalité, avec ses exploitations, ses prédateurs, ses victimes, ses scandales de pédophilie. Avec ses zooms et ses pénétrations. De vraie chair, de débauche, de perversité et de secrétions des acteurs et des victimes qui y sont exhibés. Anatomique comme sur une table d’opération. Rose comme l'intimité des organes. Rose dans une lumière froide, bleutée du numérique.