On connaît le faux bois des tables, le faux gazon des terrains de sport, le faux marbre des salles de bain. Mais le faux plastique? La question semble ne pouvoir trouver aucune réponse. Pourtant, voilà bien la métaphore fondamentale du numérique. La simulation, la modélisation du monde réel, la nature, la mémoire et la vie artificielles y semblent plus réels que celles d'ici-bas. Plus instrumentables, plus riches en information connue et maniupulable, plus inventifs au sens d'une transformation du réel, plus faux du point de vue du réel et plus vrais du point de vue humain, ces artefacts tendent à se substituer en recherche scientifique à ce que la simple observation permettrait de constater. Nous en savons davantage; ils nous en disent plus. Ils sont beaucoup plus plastiques, au sens du synthétique malléable, que le réel qui nous demeure inconnu en soi. Le numérique est transparent. Le réel est épais ou obscur, ou insondable. Le réel nous échappe. C'est sa vertu et sa limite. Les algorithmes créent des productions factices, des imitations, mais plus transformables et transformatrices que la réalité, finalement plus parfaites et plus vraies que le réel qui nous demeure définitivement inaccessible. Le numérique, en outre n'a pas de défauts, contrairement au réel. D'où l'idée du posthumain, de l'intelligence, de la mémoire et de la génétique numérique. La différence est là, comme entre les tomates entièrement naturelles et les tomates modifiées génétiquement, contrôlées contre les insectes et formatées. Comme dans la chirurgie plastique. Qu'est-ce qui est vrai, finalement? Un beau visage transformé plastiquement? Ou le visage naturel qui avait des défauts incommodants? Rien n'est-il plus faux qu'une peinture à côté de son modèle? Et pourtant n'est-ce pas le tableau qui est le plus vrai et deviendra le plus réel? Factice, le numérique a vocation à devenir plus vrai que le réel. Vérité et réalité sont deux concepts distincts et hiérarchisables en faveur du premier contre le second. Car la beauté, aussi conventionnelle soit-elle, la vérité, de même, et même l'efficacité - à leur niveau humain - valent bien une réalité que nous ne cessons de tenter de conquérir et de mettre à notre main. Le plastique, lui, est toujours du plastique. Il est vrai.
Le numérique, en ce sens, aussi factice puisse-t-il être, est ainsi extrêmement humain. Et vrai. Ce sont les hommes qui le créent, le secrètent et finalement, comme de la fausse pierre. en font leur vraie création et leur chair même.
Voilà le paradoxe que célèbre notre époque.
Hervé Fischer
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