L’Université nationale de Séoul, en Corée du Sud, s’est fait remarquer une fois de plus par les médias internationaux. Des chercheurs y ont fait naître quatre chiens beagles qui brillent dans le noir. On se souvient qu’en 2000 l’artiste brésilien Eduardo Kac s’était rendu célèbre en signant et en médiatisant la naissance d’un lapin fluorescent en France à L’INRA – l’Institut National de la Recherche Agronomique. Il avait été doté du fameux gène « fluo ». Voilà donc maintenant quatre chiens transgéniques, dotés du même gène qui, sous les rayons ultraviolets, deviennent lumineux ! Peut-on les qualifier de chiens chimériques? On appelle « chimère » un animal conçu à partir de deux espèces différentes. En l’occurrence, il s’agit dans le cas de ces chiens, de l’ajout d’un seul gène, emprunté à une méduse. L’hybridation étant très limitée, nous ne parlerons que de chiens transgéniques. Il demeure que c’est là une fois de plus la démonstration d’une nouvelle orientation très fascinante de la génétique, qui n’a certainement pas fini de nous étonner. Même si l’utilité de chiens lumineux dans le noir n’est pas évidente, la mise au point de la technique, elle, l’est. Et dans un pays comme la Corée du Sud, qui s’est déjà fait connaître par de nombreuses recherches sur les manipulations géniques, y compris dans le clonage d’embryons de chiots, et par une escroquerie, celle du professeur Woo Suk Hwang, qui avait faussement prétendu avoir réalisé un clonage humain en 2004, en falsifiant des résultats scientifiques et qui espérait obtenir ainsi un Prix Nobel pour la Corée du Sud, la quête continuera certainement. Jusqu’où ? Est-il possible de la réglementer éthiquement? On justifie assurément les usages thérapeutiques dans beaucoup de pays, en les encadrant pour les limiter selon des principes bioéthiques. En Corée du Sud, toujours dans la même université nationale de Séoul, on a cloné aussi des chiens renifleurs de drogue pour les contrôles douaniers : six Toppy identiques, pour l’équivalent de moins de 250 000 euros. Cela peut encore se justifier, sans doute, puisque c’est pour une bonne cause. Mais qui ne voit le glissant de la pente sur laquelle on s’engage ainsi? Pourquoi ne pas isoler divers gènes de l’intelligence, de la mémoire, de la force physique, etc., et avec cette boîte à outils génétiques, si je puis dire, tenter de créer des chiens pour les aveugles, ou des Saint-Bernard pour les alpinistes perdus, puis des chiens savants pour les cirques, puis des chiens policiers contre les émeutiers? On produit déjà beaucoup d’animaux de laboratoires, fort utiles. Les végétaux et les races animales sont manipulées génétiquement depuis toujours, pour le lait ou pour la viande, pour la résistance ou pour la beauté. Les vaches, les chevaux, le maïs, les pommes de terre, le blé, les roses, les chats, etc. Malgré les polémiques, les OGM sont de plus en plus acceptés et généralisés. Il est clair que la Nature, si je puis dire, ne nous a pas attendu pour modifier et même pour créer de nouveaux génomes! Toute l’histoire de la création repose sur la multiplication des espèces, sur la diversification génomique. Les humains y ont abondamment contribué depuis plusieurs milliers d’années. Aujourd’hui on accélère les croisements naturels en usant de chocs électriques pour fusionner des noyaux et des chromosomes dans des laboratoires sophistiqués, avec des équipements électroniques puissants. Il est évident qu’on n’arrêtera pas cette évolution de... la technoscience, qui prend la relève de la nature. Demeure la nécessité de réfléchir davantage aux conséquences perverses possibles et aux règlements bioéthiques nécessaires pour faire prévaloir le principe de prudence requis. Lorsqu’on joue aux dés, rien ne sert de prendre son temps. Mais, justement, en génétique, il ne faudrait pas jouer aux dés. L’aventure humaine devient prodigieuse, mais elle implique un sens de la responsabilité collective nouveau, que la compétition scientifique actuelle, sous les signes pervers de l’aspiration à la gloire, de la recherche de financement et de la logique commerciale, met à rude épreuve. L’humanité sera-t-elle à la hauteur de ses nouveaux pouvoirs? Intelligence et éthique vont-ils de pair? Cela ne semble pas acquis. Il devient donc nécessaire de les hybrider étroitement ! La nature n’y pourvoie pas et le choc du numérique n’y suffira pas. Cela va nécessiter une mutation de l’espèce.
Hervé Fischer
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