2010-12-01

Little Brother


Un jeu vidéo mis en ligne à l'automne 2010,reprenant le thème de la tragédie du collège Dawson de Montréal, nous invitait à tuer le plus possible d’étudiants et de policiers pour gagner. C’est ce que proposent déjà beaucoup d’autres jeux électroniques, dont le succès commercial donne à réfléchir. Face aux réactions de la famille d’une des victimes de cette tuerie, l’auteur du jeu, un certain Virtuaman, a d’abord objecté l’innocence de son initiative, puis a fini par céder à l’indignation générale et retiré le jeu en s’excusant. Ce même automne Tyler Clementi, 18 ans, étudiant à la Rutgers University, violoniste virtuose, dont la vie intime, captée par une webcam, avait été mise en ligne par deux autres étudiants, s’est suicidé en se jetant du pont George Washington, ne supportant pas l’exhibition de son homosexualité. L’Associated Press a relevé douze cas de suicides de jeunes pour harassement en ligne depuis 2003. En 2010 encore, en Illinois, un homme a été condamné pour harassement sur Facebook de son ex-amie et du nouvel amant de celle-ci. Inversement, une mère a été poursuivie en justice par son propre fils, dont elle contrôlait abusivement les échanges en ligne, notamment sur Facebook, selon elle pour son bien. Et elle a été condamnée. Et beaucoup d’autres personnes sont victimes de fraudes, vol d’identité, arnaques ingénieuses, spam incessant, virus, logiciels espions, et méfaits de hackers anonymes.
Le problème général du contrôle de nos communications par les Etats, leurs polices et leurs services d’espionnage antiterroriste, demeure critique face à nos libertés individuelles, mais en plus du Big Brother, il faut donc compter désormais de plus en plus aussi avec celui que nous appellerons Little Brother, et qui devient peut-être encore plus problématique. Chacun peut aujourd’hui facilement, d’un simple clic, abuser de l’accès à la diffusion immédiate de l’internet et des médias sociaux Myspace, Youtube, Facebook, Twitter, etc., qui sont infiniment plus puissants dans le cyberespace que les rumeurs, la médisance ou le chantage dans le monde ancien de la ville ou du village. Beaucoup croient même qu’ils peuvent agir ainsi dans un total anonymat, sans être vus, sans être identifiés, ce qui est d’ailleurs de moins en moins vrai.
Certes, le droit criminel existe, qui permet de condamner les cyberdélits de ce genre, le même que dans la vie réelle. Mais beaucoup de gens semblent trouver de plus en plus banale cette possibilité d’épier, de faire du voyeurisme, de voler, d’accuser, de nuire, de détruire, de diffuser n’importe quoi sur le sur le web, et d’oublier les exigences de la vie réelle, pour adopter les mêmes libertés que prennent les jeux électroniques. La frontière entre le réel et le virtuel n’est plus perçue. Voyous, bandits et pervers se mêlent aux voisins malveillants. Cette permissivité technologique entraîne une perte du principe de réalité. Cela favorise la multiplication de ces actes gratuits ou passionnels et vengeurs qui peuvent avoir des conséquences dévastatrices pour ceux qui en sont victimes. L’autre peut devenir un démon virtuel mortel pour l’homme. Comme si le cyberespace était de plus en plus hanté d’esprits malfaisants, comme dans les cultures animistes. Et ces nouvelles sorcelleries numériques sont tout aussi efficaces que celles des sociétés moyenâgeuses ou primitives.
Hervé Fischer

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