El cuerpo transformado, c’est le titre du livre de Naief Yehya dont je voudrais souligner l’importance. Ce livre remarquable par sa lucidité critique tout autant que par la richesse de l’information sur laquelle il s’appuie, a d’autant plus de mérite qu’il a été publié dès 2001 (Paidos, Mexico). Son succès a conduit à une réimpression en 2008.
La stratégie intellectuelle de Naief Yeyya est toute philosophique. Face à l’utopie naissante du clonage humain, des cyborgs et du posthumanisme, Naief Yeyha choisit d’aller jusqu’au bout de toutes les conséquences logiques – si non prévisibles – des affirmations ingénues de ces gourous nord-américains qui nous annoncent la révolution anthropologique du silicium intelligent. Il en démontre ainsi l'errance sidérante. Ces prétendus grands penseurs du posthumanisme, ce sont en effet des auteurs à succès, tels Ray Kurzweil, des chercheurs de grands laboratoires d’intelligence artificielle, de robotique, de génétique, de biotique, de neurologie cognitive, tels Hans Moravec, Marvin Minsky, James Bailey, etc. Le gène de l’intelligence critique et un minimum de formation philosophique leur font terriblement défaut.
Aujourd’hui on ajouterait des artistes comme Stelarc, ou Eduardo Kac qui a introduit un gêne d’artiste (lui-même) dans une fleur de petunia, ce qui donne l’edunia (un hybride d’Eduardo et de Petunia). Ce croisement inter-espèce apparaît, semble-t-il dans les nervures rouges de la plante. Nous voilà dans une utopie biotechnologique qui intéresse naturellement tout artiste sous tutelle du mythe de la création. Le lapin transgénique fluorescent signé en 2000 par Kac, et les autres chimères mises en œuvre par les artistes qui explorent le génome et la vie artificielle, ont au moins le mérite de forcer le débat social sur les nouveaux pouvoirs que nous revendiquons par rapport à la nature et à la vie.
Naief Yehya, grand amateur de science fiction, ne peut pas être taxé de frilosité. L’humour et l’ironie dont il use par rapport à ceux qui pensent dépasser bientôt la complexité et la créativité quasi illimitée de la nature sont d’autant plus significatives. En fait, il y a encore un abime de connaissances et d’expertises entre une prothèse de main electromécanique et les performances d’une main vivante. Et nous pourrions en dire autant de la peau, de la vision, de l’intelligence artificielles, etc. Certes, il y a dans la vie du plus ou moins complexe, du plus ou moins vivant, du plus ou moins mécanique, électrique, chimique. Et il est déjà possible d’envisager une thérapie génique personnalisée, comme le propose ici au Québec le Dr Pavel Hamet et d’en espérer une grande efficacité préventive. Il est possible de jouer dans le livre du génome, de réécrire des séquences – la plupart des plantes de notre agriculture en sont la résultante. Transformer le corps pour réparer des faiblesses génétiques, remplacer des pièces (bras, rein, cœur, etc.) devient possible et prometteur. Les prothèses sophistiquées que nous sommes capables de manufacturer aujourd’hui sont d’une grande utilité pour une personne amputée ou handicapée. Mais déclarer au nom de la technoscience actuelle et de ses promesses prétendument posthumanistes, que le corps est obsolète, comme le répète Stelarc en imaginant la greffe d’une troisième oreille dans l’avant-bras, ou d’un troisième bras robotisé, est ingénu.
Naief Yehya souligne l’importance du mythe éternel de l’empowerment humain qui est excité aujourd’hui par les progrès des technologies numériques. Il évoque l’importance de la littérature et des films de science fiction, comme Blade Runner (Ridley Scott, 1982). Il rappelle avec amusement le robot historien tentant de comprendre dans le futur l’évolution de « l’humanité » depuis l’origine de la vie à partir des transformations de la robotique (Manuel de Landa War in the Age of Intelligent Machines, New York 1991).
Il est légitime que l’homme cherche à améliorer son corps (beauté, force, intelligence, mémoire, longévité, etc.) non seulement par la gymnastique, le maquillage et la mode, mais aussi par la technoscience. Nous venons d’ailleurs d’apprendre que des chercheurs de Harvard auraient découvert la possibilité d’inverser avec la télomérase, une enzyme qui agit sur le raccourcissement des télomères, le processus de vieillissement de cellules de souris, et donc de les rajeunir. Bravo ! Ce désir humain, lié à l’instinct de puissance que j’ai moi-même analysé dans CyberProméthée (vlb, Montréal, 2003), qui est exalté aujourd’hui plus que jamais, nous conduira certainement à une maîtrise plus grande de la vie, de la matière et donc de notre corps. Nous ne sommes encore qu’au tout début de ce genre de médecine. Mais au lieu de rêver que nous sommes devenus « enfin » des robots cyborgiens avec une mégapuce dans le cerveau et un grand ordinateur central en nuage - le cloud computing - que nous avons curieusement situé dans le ciel comme le Dieu de jadis était maître de notre âme, nous devrions commencer par prêter davantage d’attention à la transformation du corps par l’obésité et la pollution environnementale et alimentaire, qui, pour la première fois font reculer sensiblement aujourd’hui l’espérance de vie des Nord-Américains. C’est moins enthousiasmant, mais plus réel, et cette désolante observation triviale nous ramènera utilement sur terre pour maîtriser plus efficacement et immédiatement l’évolution de notre espèce.
Hervé Fischer
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