L'orage (le monde financier), peinture acrylique sur toile, 2004
Pourquoi
avons-nous cette tradition de découper
le monde en rectangles : tableaux, photos ou écrans d’ordinateur, cahiers, pages de livre et de journaux, cartes postales, de vœux ou routières, cadastre
de nos terrains, billets de banque, tables, lits, tapis, maisons, boîtes et
voitures. Bien sûr, le rond est utilisé
aussi, mais beaucoup moins. Et toute forme libre est ressentie dans son écart
avec l’angle droit et le rectangle, ainsi qu’avec la symétrie. C’est ce qui a
fait la vertu de l’art baroque, des œuvres de Gaudi, ou d’architectures
contemporaines telles que les musées de Bilbao en Espagne, de Cagliari en
Sardaigne, ou du Nouveau Louvre à Dubaï.
S’agit-il d’un
schématisme humain fondamental, universel et éternel, au sens d’une « bonne
forme »? Certes, la théorie de la
Gestalt, la « bonne forme », prétend l’expliquer par la géométrie
symétrique du corps humain.
Mais la
nature n’est pas rectangulaire, ni cubiste comme le prétendait Cézanne. On verrait
difficilement les formes naturelles, organiques ou physiques, celles des
planètes, des végétaux, des cellules vivantes, des gouttes d’eau, des cailloux
et des montagnes ou des nuages s’organiser en parallélépipèdes. Roger Martin du
Gard s’amusait à penser que nous devrions modifier les poules pour qu’elles
pondent des œufs cubiques, beaucoup plus rationnels pour l’empilage et le
transport (mais il passait sous silence la meilleure résistance d’une coquille
courbe et la facilitation organique de la forme ovoïde pour la pauvre pondeuse). Alors pourquoi surimposons-nous à la liberté des
formes naturelles leur contraire : la matrice rectangulaire de nos modes
humains de découpage et de cadrage?
En fait, le
découpage rectangulaire n’a pas dominé l’histoire de l’humanité, comme on
pourrait le croire. C’est l’Occident qui
a géométrisé le monde. Ce sont les Grecs anciens. Nous avons adopté le rectangle des temples grecs, l’angle droit
et la croix chrétienne. L’urbanisme des conquistadors en Amérique latine a
imposé l’ordre militaire de son damier orthogonal. Nous avons célébré cette
géométrisation du monde avec le Bauhaus, les plasticiens hollandais, le land
art. Mais ce fut le chant du cygne de la fin d’un monde géométrique qui mute aujourd’hui avec l’émergence du numérique, la fin de la pensée linéaire au bénéfice
de la pensée en arabesque, les réseaux d'hyperliens et une nouvelle domination du temps événementiel
sur la pensée spatiale.
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