2010-02-21

e-Confucius


Mes trois philosophes préférés sont Confucius pour l’éthique, Spinoza pour le matérialisme et Nietzsche pour la démystification de la pensée. On admettra donc que ce n’est pas pour les vertus d’innovation, ni de divergence que je chéris Confucius. J’admire plutôt la sagesse avec laquelle il osa, dans une période de trouble de la Chine, il y a plus de 2500 ans, réclamer l’instauration du respect de l’autre, comme principe d’organisation sociale. Penseur encore plus ancien que Socrate (*), il a d’ailleurs eu de son vivant autant de difficultés avec les pouvoirs en place.
De quel droit lui attribuer un préfixe en e- pour électronique aujourd’hui? Parce que sa philosophie morale reposait sur l’importance du respect des liens entre les personnes et entre toutes choses. Cette morale confucéenne fonde en fait une logique des liens qui constituent des ensembles interdépendants de personnes, d’objets ou d’idées. Confucius ne développa pas une pensée linéaire, comme le fit Socrate, qui devient inévitablement binaire et simpliste. Il opta plutôt pour les configurations, qui préfigurent la complexité et la richesse féconde de ce que j’ai appelé la pensée en arabesque. Tout idéogramme chinois est une configuration de liens qui créent un récit, un sens ou l’évocation d’une idée en agrégeant les signes visuels de plusieurs constituants, par exemple un poisson, un bateau et un homme pour désigner un pêcheur. C’est toujours ainsi, par configurations d’images que nous pensons. La langue chinoise et le confucianisme sont fondamentalement liés, et ce mode de pensée redevient important aujourd’hui au cœur même de la science, dans ses explorations et ses audaces postrationalistes, non linéaires.

La nature et les sociétés sont des hypertextes

Confucius affirme que chacun doit respecter les liens qui l’attachent à ses proches, mais aussi à l’autorité des pouvoirs en place et à la nature. Bien entendu, il faut faire la part du contexte historique de la fondation du confucianisme, et aujourd’hui je ne retiendrai pas cette idée du respect dû au pouvoir sans faire de nuances. Reprenons la métaphore des liens. Je peux considérer la société où je vis et même l’humanité comme un hypertexte. Je peux penser la nature et l’univers de même, comme des hypertextes, c’est-à-dire comme des configurations de liens. Certes, le maoïsme, dans son binarisme linéaire et sa volonté de rupture avec le passé, a honni le confucianisme. Mais celui-ci revient aujourd’hui avec force (**), alors que nous découvrons l’importance incontournable des liens, cette fois planétaires, entre le développement de nos métropoles et de nos industries avec les équilibres de nos écosystèmes, entre le développement et l’éducation, entre nos institutions bancaires, etc.

Le respect des rituels

Un des autres principes que Confucius enseignait était, on le sait, un rigoureux respect des rites,notamment dans les cérémonies. Sans doute jugera-t-on aujourd'hui sévèrement cette exigence ringarde, d'un autre temps. Mais n'est-ce pas précisément la même posture que nous devons adopter dans le cérémoniel souvent lent et laborieux de tout ordinateur, qui nous impose une obéissance rigoureuse à ses nombreuses procédures informatiquess, sans permettre aucun écart, aucune fantaisie sous peine d'échec de nos intentions?

e-planète

Les technologies numériques ont institué cette même structure de liens dans nos navigations sur l’internet, dans la programmation de nos algorithmes, dans la recherche biologique, physique ou astrophysique. Le numérique nous apprend de plus en plus à penser par liens, non seulement du point de vue épistémologique, mais aussi dans nos relations sociales, tant interindividuelles que globales.
Et plus encore, nous redécouvrons l’importance fondamentale, fondatrice, des liens de solidarité, comme une morale qui prend pouvoir de contrepoison politique face à l’anonymat dangereux des masses, aux manipulations et aux fascismes qui peuvent en résulter, comme l’histoire récente et l’expérience quotidienne nous le démontrent. Et si nous avons appris l’importance de contrôler démocratiquement et de contester les abus de pouvoir de ceux qui nous gouvernent, nous prenons aussi conscience de la nécessité de soutenir des institutions planétaires, notamment sous l’égide des Nations-Unies, qui peuvent nous permettre d’établir une meilleure gouvernance internationale. Nous appuyons de plus en plus vigoureusement les organismes humanitaires qui mettent en œuvre nos exigences de solidarité. Bref, nous militons de plus en plus activement pour une éthique planétaire qui cible notre salut collectif par le respect des liens qui nous unissent chacun à chacun, par-delà les différences culturelles et identitaires. La planète devient un hypertexte. Les technologies numériques resserrent nos liens mutuels, favorisent nos compréhensions réciproques. En ce sens, e-Confucius devient le symbole de notre e-planète, notre hyperplanète (***).
Hervé Fischer
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(*) Confucius a vécu de 551 à 479 et Socrate de 470 à 399 avant J.-C.
(**) Le bonheur selon Confucius (2006) de Yu Dan a été vendu à plus de dix millions d'exemplaires en Chine. Traduit en français chez Belfond et en anglais chez Macmillan Ltd, en 2009
(***) Hervé Fischer, Hyperplanète, de la pensée linéaire à la pensée en arabesque, vlb, 2003.

2010-02-20

L'Anthropocène numérique


L'Anthropocène est cette période de l'évolution terrestre caractérisée par la signature humaine. Le terme a été proposé par Andrew Revkin en 1992, puis repris et institué par Paul Crutzen et Eugene Stroemer en 2000. Il signifie que depuis le XIXe siècle, les humains marquent davantage la transformation de notre planète que la nature elle-même, notamment que la géologie. L'Anthropocène succède à l'Holocène, la quatrième et dernière époque du Néogène, l'un des nombreux Interglaciaires du Quaternaire. L'Holocène correspond à l'avènement du Mésolithique, du Néolithique et des cultures ultérieures. C'est le début de l'expansion rapide de l'espèce humaine.
L'Anthropocène n'est manifestement pas une période très nouvelle du point de vue géologique et climatique - ce qui est certain, mais pas nouveau, car notre planète a déjà connu des bouleversements climatiques majeurs. C'est désormais le choc du numérique qui signe le plus en plus profondément notre empreinte humaine sur le globe terrestre.

Le passage de l'énergie à l'information

Et il s'agit désormais moins de géologie ou de réchauffement climatique, ou de hausse du niveau de la mer, que d'une signature cérébrale, technoscientifique. Le numérique acquiet à un rythme exponentiel un pouvoir instrumental d'interprétation et de transformation de la Terre, qui est totalement inédit. Nous sommes passé de la chasse et de la cueillete à l'agro-industriel, de l'exploitation des ressources naturelles à la modélisation numérique, du naturel à l'artificiel, de l'adaptation à la divergence. L'empreinte n'est plus physique, mais mentale. Nous nous rendons réellement, selon l'expression si connue de Descartes, "maîtres et possesseurs" de la nature. C'est là véritablement une révolution copernicienne, la plus importante de notre évolution récente.
CyberProméthée '**)n'est plus seulement notre demi-dieu grec qui a volé le feu à Zeus pour le donner aux hommes et rivaliser avec les dieux. Sa victoire actuelle - et tous les dangers que nopus encourons avec elle - est celle du numérique; non plus celle de l'énergie - qui demeure primitive et incapable de discrimination - mais de la puissance du savoir. Voilà un changement radical de posture. Nous ne nous contentons plus de maîtriser la puissance de l'éclair. Nous repensons Zeus. Nous repensons notre cosmogonie, nous la transformons non plus à l'image de Dieu, mais à notre image. C'est en ce sens que j'ai écrit: Nous serons des dieux (***). L'anthropocène ne légitime vraiment l'audace de son nom que depuis qu'il est devenu numérique.Voilà le constat nouveau qui n'avait pas encore été admis par les anthropologues.

Une éthique planétaire

Mais il faut penser pls loin. Le paradoxe, c'est que cette technologie que nous avons inventée et que nous développons tous les jours selon un rythme effreiné,n'est plus une technologie comme les précédentes. Elle est basée sur un code binaire trivial, et qui pourtant implique aussi une révolution encore plus cérébrale, une mutation éthique de l'être humain, afin que nous soyons capables d'assumer raisonnablement notre nouveau pouvoir exorbitant sans nous détruire nous-mêmes et avec nous la planète. Cette technologien nmérique exige une responsqbilité numérique, celle de l'hyperhumanisme. Pour que l'anthropocène numérique ne soit pas la dernière période de notre évolution terrestre, il va falloir que notre cerveau se transforme. La technologie nous oblige à instaurer une éthique à proprement parler planétaire.
Hervé Fischer
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(*)Andrew REVKIN, Global Warming : Understanding the Forecast, American Museum of Natural History, Environmental Defense Fund, New York, Abbeville Press, 1992.
Paul CRUTZEN et Eugene F. STOERMER, “The ‘Anthropocene’“, Global Change. IGBP Newsletter, 2000.
(**) CyberProméthée, vlb, Montréal, 2002.
(***) Nous serons des dieux, vlb, 2006.

2010-02-16

Le vieux cybermonde


Le cybermonde vieillit. Déjà quinze ans depuis l’explosion publique du web, et davantage pour sa gestation. Nous avons oublié l'époque des lignes de programmation avec ses signes cabalistiques en jaune ou vert sur des écrans noirs. Les accordéons de feuilles perforées sur les côtés qui se déployaient plus ou moins bien dans des imprimantes bruyantes ont cédé la place à des petits boîtiers grands comme des grille-pain qui débitent en silence des pages en couleur. Le spaghetti des câbles disparaît face aux conquêtes du sans fil et du bluetooth. Les technologies numériques s’autocannibalisent. Le mot s’emploie rarement, et pour cause. Mais comment décrire autrement cette logique de compétition technologique et commerciale qui consiste à produire et lancer sur le marché, à un rythme toujours plus rapide, des produits nouveaux qui rendent obsolètes ceux de la génération précédente? La loi de Moore des dix-huit mois de doublement des puissances de mémoire et de vitesse règne sur le cybermonde et renvoie tous les équipements informatiques dans le passé au même rythme effréné. On est ainsi passé de records en records à des chiffres exponentiels de rapidité des processeurs, de stockage des données, de mémoire vive, de vitesse et de largeur de bande des réseaux numériques. Qui accepte encore de se connecter sur sa ligne téléphonique domestique? On est passé des floppy disk drives grand format aux petites disquettes dures, aux disquettes Zip et maintenant aux clés USB, des disques optiques format 78 tours aux cédéroms et maintenant aux DVD, qui vont être remplacés par des Blu-Ray et des HD-DVD. Qui achète encore un volumineux écran cathodique, alors que les écrans plasma sont plats et légers? Les ordinateurs professionnels qui occupaient des mètres cubes dans les années 1980 ont pris de la puissance en proportion inverse de leur taille. Et les ordinateurs personnels se sont miniaturisés à l’extrême. Avec le cloud computing, on n’aura bientôt plus besoin de disques durs et encore moins d’acheter des boîtes de logiciels. L’autocannibalisation des programmes informatiques n'est pas moins rapide. La durée de vie de tous ces éléments et leur cycle de remplacement bouscule sans cesse les habitudes et les performances.

Une Atlantide liquide

Quand aux contenus, leur vieillissement prématuré est encore plus flagrant. L’océan du cybermonde engloutit dans ses cimetières marins et ses gouffres abyssaux les sites web à peine fleuris, dont on perd déjà la mémoire. Les années se succèdent au rythme des seuls printemps. Se mêlent à ces milliards de pages Web disparues à jamais, d’autres milliards de courriels, de SMS et de photos numériques, sans laisser le moindre fossile pour la postérité. Les arts numériques des années 1980, 1990, 2000, 2006, 7, 8 ne sont déjà plus que des fantômes d’eux-mêmes, des descriptions, des articles de revues, des vidéos, quelques photos d’écrans ou d’installations difficilement recensés et sans commune mesure avec les oeuvres qu'ils évoquent. Le cybermonde est un continent perdu qui flotte à la dérive sur les réseaux numériques, un nouvel Atlantide qui y disparaît au fur et à mesure qu’il se forme par simple renouvellement constant des vagues de 1 et de 0, sans faire plus de bruit que le clapotis de l’eau, sans même que des big crushs soient nécessaires pour hâter son effondrement liquide.
C’est un paradoxe bien étrange que ce rythme de disparition constante du cybermonde, dont l’horizon avance devant nos pas, sans que nous puissions regarder en arrière, comme dans le mythe d'Orphée. Et s’il existe une Méduse du cybermonde, elle ne pétrifie pas les aventuriers qui s’y retournent sur leurs pas, mais les liquéfie à jamais. Comme l’informatique verte demeure encore en bonne partie un vœu pieux, les archéologues futurs qui fouillerontles dépotoirs d'aujourd'hui y découvriront des couches de sédimentation informatique de plus en plus fines comme un feuilleté de plastiques et de métaux lourds comprimés. L’archéologie du numérique s’annonce comme une tâche impossible.

La vieille et la nouvelle cyber

Pourtant,immigrants et nouveau-nés du cybermonde y cohabitent sereinement, mais sans se croiser dans les mêmes lieux. Les jeunes surfent fébrilement sur les plateformes des médias sociaux et chattent sur leurs écrans de leurs téléphones portables; les vieux envoient encore des courriels traditionnels. La nouvelle génération s’agite sur Twitter, MySpace, Youtube, Flickr, Facebook, Second Life et autres. Elle télécharge de la musique et des films sur ses ordinateurs et y suit ses news de groupes. Elle remue frénétiquement les consoles de jeu. Elle fait des photos et des vidéos avec ses téléphones portables. L’ancienne génération navigue tranquillement sur Google; elle y cherche ses destinations de vacances et y réserve des gites chez l’habitant. Elle y consulte la météo, les infos médicales, les soins pour les chats, les chiens, les poissons rouges. Elle y gère ses comptes de banques et autres utilités qui demandent de l’attention. Elle magazine dans les boutiques virtuelles et hésite entre un lecteur de livres électroniques et un iPad. Progressivement, les diverses générations d’internautes établissent chacune dans le cybermonde leurs quartiers respectifs, dans une totale insouciance de la rapidité du temps numérique qui les illumine et les efface sur les écrans à un rythme impitoyable, comme les lucioles sur une lampe de proue du navire qui les emporte dans la nuit.
Et apparaissent alors dans le ciel étoilé les lumières de Tokyo-Ginza, car il y a déjà plusieurs planètes dans le cybermonde, les anciennes et les nouvelles. Sur Ginza, la différence s'estompe entre le réel et le virtuel. Le numérique s'impose à nos sens, et ce sont les parcs et les temples qui semblent devenir irréels.
Hervé Fischer

2010-02-15

Même les mèmes ne m’aiment pas!


Reprenant de façon caricaturale le modèle de la génétique, Richard Dawkins* prétend que ce sont les mèmes qui mènent le monde. Nos têtes seraient le milieu fertile mais passif hébergeant une contamination virale d’unités cognitives, qui s’étendrait par réplication et sélection darwinienne. Exemple : Dieu, la démocratie, n’importe quelle idée, se propagent par réplication. La théorie des mèmes de même? Je n’en suis pas sûr. J’aurais tendance à dire que c’est une bêtise cognitive de plus, que la sélection naturelle ne manquera pas d’éliminer!
Mais il faut plutôt s’interroger sur son succès actuel. Nous pensons par métaphores et analogies. Nous sommes même incapables de penser autrement. Ainsi expliquons-nous les lois de l’univers en recourant au modèle d’un organisme vivant, d’un mécanisme d’horloge ou d’un cluster d’algorithmes. L’originalité de Dawkins consiste donc à singer la théorie génétique pour expliquer la diffusion des idées, comme si la noosphère relevait de la biologie. La tentative peut à coup sûr être intéressante, comme méthode heuristique. Mais comme toujours, il faut garder conscience des limites du recours à la pensée analogique, qui peut être valable comme alternative à d’autres analogies devenues stéréotypées, aussi longtemps qu’on ne la prend pas à la lettre. Ce que Dawkins, manifestement trop séduit par son idée, fait sans retenue.
Il n’est pas le premier à vouloir tout expliquer par l’imitation. Dans son livre Les lois de l’imitation (1890) Gabriel Tarde, comme Dawkins, prenait les êtres humains pour des somnambules. À l’opposé de Durkheim, qui mettait de l’avant l’influence de la société sur les individus, Tarde partait des individus et fondait sa psychologie sociale sur la réplication des idées qui se répandraient de cerveau en cerveau par une sorte d’onde magnétique. Le magnétisme était à l’époque un phénomène physique fascinant, qui influença aussi Charcot et les thérapeutes de l’hypnotisme. Maintenant, c’est la biologie qui est en vogue. On sait que même si Tarde, fut glorieusement élu au Collège de France, sa théorie de l’imitation n’a eu aucune postérité. Elle n’en méritait pas.

Les poux

Il en sera de même de Dawkins. Les idées et les gènes n’ont rien de commun en dehors du fantasme analogique dans lequel il a voulu les confondre. La réplication des gènes suppose un programme spécifique ou différentiel de l’ADN et des contacts physiologiques dont la diffusion des idées devrait alors trouver un équivalent dans les médias ou dans le magnétisme de l’air… Dawkins ne nous donne pas d'explication scientifique de la réplication. La parodie apparaît vite intenable. Comme Tarde, Dawkins est incapable d’expliquer par la réplication la création de l’inédit. La loi de la divergence échappe autant à l’un qu’à l’autre. Même si les idées ne nous viennent pas du ciel (ou du diable), ou de l’éther eidétique platonicien, même si je suis de ceux qui soutiennent que les idées naissent électro-chimiquement du cerveau et trouvent leur formulation par réplication sous l’influence des modèles culturels dominants, il demeure que les idées nouvelles, celles qui nous font évoluer, s’inventent par la contestation individuelle, le déni, la divergence, que la réplication ne saurait expliquer, et selon des modalités qui n’ont rien à voir avec celles d’un darwinisme génétique, qui suppose une meilleure adaptation accidentelle. Dawkins nous plonge dans un brouillard irisé, avec une théorie fiction que nous rejetons d’autant plus qu’elle est antihumaniste, fataliste, inacceptable du point de vue de la liberté et de la créativité humaine. Les mèmes parasiteraient nos cerveaux comme les poux nos cheveux, à notre insu, sans qu’on ait aucun moyen à leur opposer, puisque ce sont eux seuls qui sont les acteurs et peuvent s’éliminer les uns les autres au profit du plus fort. Dawkins a eu le mérite d’être un biologiste athée. Mais on ne saurait davantage hypostasier la génétique que la religion. Ce ne sont pas les gènes qui ont créé l’univers! Admettons que les gènes font partie d’une complexité beaucoup plus grande qu’eux et de luttes de pouvoir qui peuvent avoir facilement raison d’eux.

Les petits lutins


Une fois de plus – c’est devenu une tradition – on observe que les biologistes qui se prennent pour des philosophes et tombent dans la métaphysique biologique, atteignent vite leur principe de Peter. Les mèmes ne méritent pas plus notre attention que les petits lutins, sauf du point de vue de la mythanalyse. Pourquoi l’homme cherche-t-il toujours de nouvelles représentations et justifications de son aliénation : religieuse, politique, sociologique, psychanalytique, et maintenant génétique? À quoi cela sert-il de militer pour l’athéisme, comme Dawkins, si c’est pour tomber dans une fable encore plus aliénante que celle de Dieu? Les mèmes n’existent pas plus que les dieux, Monsieur Dawkins! Voilà bien une débilité étonnante. Il est temps que les hommes s’assument eux-mêmes sans s’inventer de si mauvaises raisons de renoncer à leur liberté et à leur responsabilité créatrice.
Hervé Fischer

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(*) Je ne suis pas même intéressé à expliquer les termes de sa théorie. Je recommande aux curieux de consulter Wikipedia. En voici un extrait :
Un mème (de l'anglais meme ainsi que du français même) est un élément culturel reconnaissable (par exemple : un concept, une habitude, une information, un phénomène, une attitude, etc.), répliqué et transmis par l'imitation du comportement d'un individu par d'autres individus. L'Oxford English Dictionary définit le mème comme « un élément d'une culture pouvant être considéré comme transmis par des moyens non génétiques, en particulier par l'imitation ».
Le terme de mème a été proposé pour la première fois par Richard Dawkins dans Le Gène égoïste (1976) et provient d'une association entre gène et mimesis (du grec « imitation »), en même temps qu'un jeu de mot sur le mot français « même ». Les mèmes ont été présentés par Dawkins comme des réplicateurs, comparables à ce titre aux gènes, mais responsables de l'évolution de certains comportements animaux et des cultures.
L'étude des mèmes a donné naissance à une nouvelle science : la mémétique. (sic!)

2010-02-13

Le schisme générationnel


Alors que je dénonce depuis ses débuts la naïveté qui incite tant de gens à étaler leur vie privée dans Facebook, sans se soucier de tous les usages malveillants et effets pervers auxquels cette convivialité complaisante peut donner lieu, force est de constater je prêche dans le désert. Je ne suis pourtant pas le seul; plusieurs organismes publics lancent de nombreux avertissements face à l’abus de ces médias sociaux qui imposent à leurs usagers des contrats aussi discrets qu’inacceptables quant au droit qu’ils se donnent de céder – pour ne pas dire explicitement monnayer - ces informations à des compagnies de télémarketing ciblé. Mieux encore : toute personne malveillante, tout futur employeur, peut accumuler des informations ciblées sur des millions de personnes par simple data mining. Facebook est ouvert comme un moulin. Et il est éventuellement impossible de récupérer et effacer avec certitude ces données parfois intimes. Facebook, par exemple, s’est donné le droit de les conserver sans limite de temps, à votre insu.
Il est clair qu’aucun avertissement – venant des institutions publiques et des générations plus averties - ne semble avoir d’effet face à la nouvelle génération, qui ne voit aucun mal à s’abandonner délicieusement dans cette transparence numérique. Inutile d’y résister, ajoute-t-elle : c’est le sens de l’évolution. D’ailleurs, la technologie est trop puissante et ce serait une bataille perdue d’avance - et ringarde – que de vouloir échapper au cristal du cyberespace et à son ubiquité. Nous nous retrouvons dans une cosmogonie sociale sans ombres, comme dans les peintures primitives. Sans recoin caché. Sans profondeur. L’utopie de l’innocence numérique est puissante.
Il est vrai que le succès explosif de ces médias sociaux (Facebook revendique aujourd’hui 400 millions d’inscrits), leurs vertus incontestables de convivialité, leur usage fréquent pour les bonnes causes, les campagnes politiques, humanitaires, ont imposé une image très positive. Il serait même devenu désuet d’échanger ses courriels dans le vieux cybermonde des messageries électroniques plutôt que sur ces nouvelles places publiques de l’âge du numérique. Bien sûr, si le cyberespace est un paradis, il est beaucoup plus séduisant que le monde réel que dominent encore la suspicion et le mal. Mais comment le croire, alors que la cybercriminalité, le vol d’identité, la prédation sexuelle y sont si présents!
Nous sommes confrontés, au sein de la même Église numérique, à un schisme générationnel entre les immigrants de la vieille génération, dont je suis, encore prudents, méfiants, et les nouveau-nés du cybermonde, pour qui l’oxygène qu’ils respirent est tout naturellement numérique. Inutile de vouloir les raisonner : c’est une question de foi, aveugle comme toutes les fois, frôlant même inconsciemment l’intégrisme numérique.

Les nouveau-nés du cybermonde

J’avoue être de l’ancienne foi, celle de la fascination critique; trop conscient de l’immense valeur humaniste du numérique pour ne pas craindre ses dérives et ne pas veiller à ses bons usages sociaux. Et je ne doute pas qu’avant peu les démocraties dignes de ce nom encadrent légalement les pratiques abusives des médias sociaux. Après tout, au paradis, on n’a plus rien à cacher et on se promène sans doute tout nu – c’était le cas dans le paradis terrestre -; mais ici-bas, la loi interdit de se déambuler nu dans la rue. Alors pourquoi la tendance actuelle est-elle de se dévoiler sans retenue dans l’espace public des médias sociaux? Et ce n’est pas seulement une question de pudeur sociale : ces anges innocents donnent la clé et le code d’entrée de leur maison aux voleurs. Le goût sucré du rêve risque de tourner prochainement à l’amertume du cauchemar numérique si une législation réaliste ne lui est pas opposée.
Hervé Fischer