2011-11-19
Qu'est-ce que le 3D?
Dans la peinture romane, la troisième dimension était l'ailleurs divin auquel nous appelaient les auréoles dorées des icônes et la lumière bleutée des vitraux. Il s'agissait d'une convention théologico-picturale.
À partir du Quattrocento, c'est par l'invention de la perspective euclidienne, que les artistes expriment la profondeur de l'espace réel ici-bas, qui désormais les intéressait autant que Dieu. On inventa en même temps le réalisme, l'humanisme et le rationalisme. Cette convention optique ou géométrique, tout aussi artificielle que la précédente, est complétée par une tendance progressive au réalisme des visages et des objets, par l'invention des ombres (antérieurement l'ombre n'existait pas dans la peinture, si ce n'est pour évoquer le mal et le diable), par la couleur locale (antérieurement les couleurs répondaient à un strict code religieux symbolique), par la dynamique perceptive des couleurs chaudes (qui rapprochent) et froides (qui éloignent), par le bleuté plus flou des lointains (à cause de "l'épaisseur de l"air", disait Leonard de Vinci).
Aujourd'hui, c'est avec des logiciels que les infographistes construisent les objets synthétiques en trois dimensions. L'image demeure frontale et plate sur l'écran, mais la manipulation par la main de la souris ou de la console - ou sur l'écran tactile directement - suggère une manipulation réaliste dans l'espace écranique. La dynamique 3D est musculaire; le 3D est manuel, ce qui augmente notre impression de réalisme. Comme la perspective euclidienne, ce 3D numérique demeure géométrique et simpliste, si on le compare au cubisme de Juan Gris et Picasso, car il ignore les paramètres psychologiques essentiels de l'expérience: l'intention, la mémoire, le désir ou la peur, l'attente, le projet, comme le souligne la phénoménologie de la perception. Ce 3D est programmatiquement complexe, mais perceptivement pauvre. Les designers recourent donc en outre, comme les peintres de la Renaissance, à des astuces supplémentaires, telles que la dynamique de la lumière et des couleurs, les damiers ou chemins frontaux qui rétrécissent avec l'éloignement, etc. Mais ce 3D qui prétend nous étonner, au-delà de la magie de la manipulation numérique ne fait que tenter d'imiter la réalité ordinaire de nos vies quotidiennes. Il n'y a rien là qu'une tentative banale de réalisme, et même la performance technique ne nous étonnera bientôt plus. Ce 3D se réduira à une utilité d'outil, comme dans les simulateurs de vol pour la formation des pilotes, dans l'enseignement de la chirurgie, dans la modélisation architecturale ou urbaine des professionnels, etc.
Le 3D du numérique réside beaucoup plus dans la lumière bleutée des écrans cathodiques, comme dans celle des vitraux des églises, qui invitent à un ailleurs supérieur, plus réel que l'ici-bas de notre condition humaine, celui du monde virtuel où nous sommes plus puissants, plus heureux, plus connectés, où nous échappons aux limites, frustrations, souffrances du monde réel qui est jugé décevant. Ce 3D est un ailleurs imaginaire, comme celui de la religion, qui nous attire, nous rassure ou nous donne l'illusion d'obtenir des gratifications. Le virtuel est une nouvelle déclinaison numérique de la foi religieuse et de l'idéalisme platonicien.
Dans le cas du 3D numérique, l'interaction avec la réalité d'ici bas est d'ailleurs moins puissante que celle des croyants qui dialoguent avec Dieu, mais elle est souvent plus efficace parce qu'elle nous met en relation avec d'autres personnes que nous pouvons rencontrer réellement.
Toute image est un imaginaire. Notre perception du réel est un hybride de perception visuelle et d'imaginaire. Nous voyons ce que nous recherchons et ne voyons pas ce qui nous est inutile ou indifférent. Ce qui est puissant dans la représentation de la troisième dimension, c'est ce dont nous avons besoin, ce que nous désirons ou dont nous avons peur. C'est, aujourd'hui comme jadis dans la religion, moins une augmentation du réalisme - sauf pour les outils utilitaires - que l'accès à un ailleurs, à un imaginaire, qu'il soit magique, religieux ou numérique.
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