Comme l’eau, le numérique est un oxydant. Un oxydant est un atome, une molécule, ou un ion capable de capter un ou plusieurs électrons d’un corps en fixant de l’oxygène sur lui. N’est-ce pas exactement ce que
font les liens numériques, ceux de la navigation sur le web comme ceux des
réseaux sociaux ? Un membre de Facebook peut même capter des centaines d’électrons-amis.
Le numérique agit sur la surface sociale comme un liquide
oxydant qui la pénètre en fixant sur nous des hyperliens. L’oxydation
numérique, comme l’eau se répand partout, elle dissout les structures rigides
et fait circuler les atomes sociaux. Diluant la structure atomique et
moléculaire de la société, elle la rend plus malléable et la vivifie. En l’imprégnant numériquement, elle la
transforme. Au-delà de la métaphore du liquide, nous usons donc aussi de celle
de l’action chimique. La société a pu être interprétée au fil du temps selon de
multiples métaphores successives, comme un organisme, comme
un mécanisme physique pris sous la tension de forces contradictoires, comme un
agrégat moléculaire ou atomique, etc. On parle aussi beaucoup de contamination
virale. En recourant à l’image de l’oxydation, en évoquant une réaction chimique
je souhaite souligner que malgré son apparente douceur, la numérique agit en profondeur sur le tissu social. Un
oxydant ne semble pas agressif, du moins au début ; mais lorsqu’il entame
une surface, il ne la quitte plus. Il la mord et lui impose une mutation
irréversible.
Et c’est important, car en biologie aussi, nous savons qu’il
n’y a pas de vie sans oxydation moléculaire. Pas de respiration, pas de
digestion sans oxydation. La métaphore est pertinente" Mais l’oxydation implique
aussi des effets destructeurs de vieillissement, que ce soit de la matière ou
de la vie. Nous avons appris à faire appel à des antioxydants. Que pouvons-nous
imaginer quant à la société numérisée ? Nous ne saurions en envisager les
bienfaits tout en ignorant ses effets négatifs. Pas de
création, pas d’évolution, pas de divergence sans
destruction. Pas de vie sans la mort. C’est la vie ! Et pas de technologies numériques sans accélération
du changement.
Nous avons donc aussi un immense besoin d’antioxydants capables
de limiter les effets pervers du numérique, ses abus, ses
utopies naïves, ses pathologies, telles que la dépendance, la
cybersurveillance maligne, le non respect de la vie privée, la déréalisation. L'intégrisme numérique peut devenir
aussi toxique que les fondamentalismes religieux, fasciste, communiste ou
économique.
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