Les précieux dossiers, les idées géniales, les images créatrices que nous confions au clapotis du web, ont une espérance de vie fragile. Leur vieillissement prématuré est flagrant. Le cybermonde est plein d’épaves qui flottent à la dérive sur les réseaux numériques. Et l’océan du cybermonde engloutit dans ses cimetières marins et ses gouffres abyssaux les sites web à peine nés, dont on perd déjà la mémoire. Les années se succèdent au rythme des seuls printemps. Se mêlent à ces milliards de pages Web disparues à jamais, d’autres milliards de courriels, de textos, de photos numériques, de données, d’archives, qui ne laisseront pas le moindre fossile pour la postérité dans les sédiments du web. Les arts numériques des années 1980, 1990, 2000, 2006, 7, 8 ne sont déjà plus que des fantômes d’eux-mêmes, des descriptions, des articles de revues, des vidéos, quelques photos d’écrans ou d’installations difficilement recensés et sans commune mesure avec les œuvres qu'ils évoquent. Le cybermonde est plein de continents perdus. Un nouvel Atlantide y disparaît au fur et à mesure qu’il se forme par simple renouvellement constant des vagues de 1 et de 0, sans faire plus de bruit que le clapotis de l’eau, sans même que des big crushs soient nécessaires pour hâter son effondrement liquide.
C’est un paradoxe bien étrange que ce rythme de disparition constante du cybermonde, dont l’horizon avance devant nos voiles, sans que nous puissions regarder en arrière, comme dans le mythe d'Orphée. Et s’il existe une Méduse du cybermonde, elle ne pétrifie pas les aventuriers qui regardent le passé, mais les liquéfie à jamais. Les archéologues futurs qui fouilleront les dépotoirs d'aujourd'hui en quête d’une culture glorieuse et innovatrice du passé y découvriront des couches de sédimentation informatique de plus en plus fines comme un feuilleté de plastiques et de métaux lourds comprimés, mais aucun contenu. L’archéologie du numérique s’annonce comme une tâche impossible.
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