La dépendance de la science actuelle vis-à-vis des ordinateurs et des programmes informatiques n’est plus à démontrer. Nous travaillons sur l’invisible, traduit en fichiers numériques, qu’il s’agisse de corps célestes en astrophysique, ou de génétique en biologie. Jadis basée sur l’observation et l’expérimentation physique, la science d’aujourd’hui programme et construit ses objets d’études sur les écrans cathodiques. Elle s’est paradoxalement dématérialisée, en ce sens qu’elle ne traite plus la matière, ni même les forces, mais beaucoup plus des informations traduites en codes binaires et affichées en fausses couleurs. Elle manipulait des électrons et des champs magnétiques, des molécules chimiques et des tissus vivants. Désormais, elle manipule des algorithmes. Elle tend à confondre de plus en plus informatique et vie, par exemple en bioinformatique. Ne parle-t-on pas d’ailleurs couramment aujourd’hui de virus et de contamination virale en informatique? Et cela vaut comme un fondamental en physique ou en astrophysique, désormais entièrement médiatisées par les langages virtuels. Dieu, grand informaticien de l’origine du monde? Certes. Mais ce sont désormais nos chercheurs scientifiques qui programment et qui modélisent. Ils combinent, ils inventent, ils imaginent les objets qu’ils étudient! On pourra parler de programmation scientifique, ou de génétique virtuelle, au sens où nous générons des fichiers numériques et en programmons le développement ou les actions.
Ainsi, on répétait souvent que l’homme ne pourrait jamais recréer artificiellement la vie. Pourtant, la revue Science de janvier
Les cellules synthétiques remplaceront bientôt les fameuses cellules souches, mettant fin à un grand débat d’éthique. Mais ce sera pour lancer un nouveau débat de société, qui fascine beaucoup d’artistes et de philosophes actuellement. M. Venter ou son successeur obtiendra-t-il alors un brevet de propriété intellectuelle sur la vie? Beaucoup de questions absolument nouvelles se posent. Et la moindre n’est pas la possibilité de faire du couper-coller génétique, de la génétique virtuelle. La porte est ouverte à l’eugénisme, mais aussi à la fabrication d’organes de remplacement, de défunts dont on réactive l’ADN, d’espèces nouvelles, de chimères, d’androïdes esclaves ou soldats. J’évoquais récemment l’économie imaginaire, l’i-économie, pour décrire les dérapages que permet la programmation financière, lorsqu’elle est confondue avec la spéculation boursière. Nous avons vu un courtier de
Qui nous dit que de tels dérapages, fraudes ou folies ne sont pas possibles dans la science d’aujourd’hui, tellement virtuelle? Il devient possible de créer des fichiers numériques de molécules ou de galaxies fictives et de les mêler aux données familières. La science est désormais une technoscience, asservie aux programmes et instruments de l’informatique. Elle peut devenir aussi de la science imaginaire. On a pu déjà le constater dans quelques scandales récents. Mais le sait-on toujours? Serait-elle encore instrumentale par rapport au monde réel, ou inoffensive? Voilà bien des défis. Quelques surprises nous attendent certainement dans l’avenir. Et on ne s’étonnera pas que les artistes soient fascinés par le pouvoir créatif de ces manipulations, par la vie, la nature et l’intelligence artificielles auxquelles la technoscience donne de plus en plus de réalité. Lorsque l’homme sera vraiment capable de créer couramment la vie dans ses laboratoires informatiques, nous aurons franchi une étape vertigineuse de notre évolution anthropologique. La capacité de création de la science aura dépassé celle de l’art. L’homme pourrait devenir un agent proactif de l’évolution de la nature, dont il est lui-même le produit. L’idée est vertigineuse, comme une nouvelle révolution copernicienne, cette fois non plus en astronomie, mais en biologie. Dieu est mort, disait Nietzsche. Et maintenant, c’est l’homme qui devient le créateur de lui-même. Pourrons-nous faire confiance à cet imaginaire cyberprométhéen ?