2007-05-23

Le Panopticon numérique

RFID/electronic privacy issue space web graph (click for detail)
Les puces espionnes - Radio Frequency Identification Devices - intéressent de plus en plus les polices et les compagnies de commerce de détail. Elles seraient appelées à remplacer les codes-barres, aujourd'hui si répandus dans le monde entier, que nous retrouvons sur tous les objets du commerce, les livres comme les paquets de pâtes, mais aussi à l'hôpital sur notre dossier, pour faire un suivi par ordinateur et éviter les erreurs de médicaments ou... de chirurgie!

Les polices souhaiteraient insérer ce genre de puce invisible, mais dotées d'un émetteur radio ondes courtes lisibles par des bornes à courte distance, voire dotées d'un dispositif de traçage GPS par satellite, non seulement dans nos passeports ou permis de conduire, mais aussi sous la peau de prisonniers en liberté surveillée. On y penserait aussi pour la sécurité des enfants, pour la surveillance des oeuvres d'art, des objets précieux, ou de votre laptop, etc. Bref, les Digital Angels - ces anges gardiens numériques, selon le nom même d'une compagnie américaine qui les manufacture -, permettraient le traçage perpétuel de tout objet ou personne que l'on veut contrôler ou protéger.
S'il s'agit de vous assurer de toujours retrouver votre petit chien ou votre chat, pourquoi pas? Pour assurer le traçage de la viande de boucherie, et le contrôle de la chaîne du froid dans l'industrie alimentaire, pour protéger des malades de l'Alzeimer, des personnalités susceptibles d'être kidnappées, des soldats sur les sites de guerre, pourquoi pas! S'il s'agit d'en mettre partout, y compris dans vos cartes de crédit, d'identité, et vos cravates ou vos chaussures, il est évident que nous rencontrons là un grave problème dans notre future démocratie numérique. Leur invisibilité envahissante et leur puissance potentielle leur promettent un succès dont les effets pervers sont appelés à soulever un débat de société majeur. Les puces espionnent deviennent un symbole de l'âge du numérique.
Le philosophe utilitariste Jeremy Bentham avait inventé un modèle de prison circulaire contrôlable par un seul gardien, situé au centre de l'édifice dans la pénombre. La version moderne et numérique du Panopticon - (du grec voir partout) devient redoutable. George Orwell, avec 1984 ou Animal Farm a déjà romancé ce cauchemar. Katherine Albrecht et Lyz McIntyre, les deux auteurs du livre Spychips, dénoncent tous les abus auxquels nous devons nous opposer d'autant plus que ces puces à ondes courtes sont extrêmement envahissantes. Ces deux femmes combatives ont aussi fondé CASPIAN (Consumers Against Supermarket Privacy Invasion and Numbering is a grass-roots consumer group fighting retail surveillance schemes since 1999. With thousands of members in all 50 U.S. states and over 30 countries worldwide, CASPIAN seeks to educate consumers about marketing strategies that invade their privacy and encourage privacy-conscious shopping habits across the retail spectrum). Il semble que cette technologie soit déjà utilisée très officiellement dans beaucoup de pays et que des grandes surfaces commerciales la teste aussi, par exemple pour installer des caisses qui débitent automatiquement votre compte bancaire sans vous arrêter à la sortie, ou pour développer du datamining de nos comportements d'acheteurs. Bref, les codes-barres cèderaient bientôt devant le progrès des RFID.
Voilà donc une avancée technologique majeure, qu'il ne faut pas diaboliser, mais connaître et réglementer légalement, comme le font déjà certains pays, sur laquelle réfléchissent des commissions publiques, aux États-Unis comme en Europe, et à laquelle il serait grand temps que les artistes intéressés par les technologies numériques consacrent aussi leurs réflexions et leur créativité. Ces puces, dans un circuit de bornes récepteurs sur un espce scénique, permettent d'animer des jeux d'éclairage, de sons, selon les déplacements des danseurs ou des acteurs. Il y a là toute une recherche et des usages artistiques intéressants qui s'annoncent. Et aussi, nous espérons voir se lever les George Orwell du numérique, qui sauront éveiller notre conscience critique face à ce nouveau Big Brother invisible que plusieurs voudraient cloner partout dans nos espaces urbains pour les transformer en un redoutable Panopticon numérique. (Hervé Fischer)

Le web est la ville du XXIe siècle





J'ai précédemment souligné l'importance des métaphores océaniques du web. Elles sont significatives des références aquatiques de nos imaginaires sociaux. Un milieu liquide, bleuté, nourricier, doux et tiède, où nous évoluons sans effort, dans les arabesques de la plongée, comme dans la liquide amniotique du corps social.
En fait, il existe une autre métaphore, tout aussi significative et sans doute même plus pertinente de notre rapport au savoir et à nos désirs instrumentaux. C'est la métaphore du web comme une excroissance de la ville. Non pas une métaphore du "village planétaire" mcluhanien, qui date et est contredite par les mille fractures sociales et les diversités culturelles de notre planète, mais celle des villes actuelles, tentaculaires dans leur croissance désordonnée, avec ses suburbs et ses exurbs, comme on appelle désormais leurs banlieues excentriques centrifuges.
À bien des égards, les discours flamboyants d’aujourd’hui sur le cybermonde font penser au célèbre film de Fritz Lang de 1926, Metropolis, avec sa puissance mythique et son utopie salvatrice des cœurs. Et dans la série répétitive des grands rêves humains, on parle actuellement de la révolution du numérique dans des termes équivalents à ceux de Lewis Mumford, lorsqu’il présentait dans les années 1960 la révolution urbaine comme un changement radical de notre civilisation (The City in History, ou The Myth of Machine).

La ville hyper

réseau internet global


La métaphore a donc d'abord comparé la ville à un livre. La ville a toujours été un lieu de socialisation et d'échanges. On a pu considérer la ville comme un médium de communication spécifique. Et les historiens soulignent que c'est l'apparition de la ville, qui a favorisé en Mésopotamie, en Égypte et dans la vallée de l'Indus simultanément, vers 5500 avant J.-C., l'apparition de l'écriture. On fait aussi référence au poème épique Gilgamesh, peut-être la plus ancienne histoire écrite que nous ayans retrouvée, en écriture cunéiforme sur douze tablettes d'argile, et qui raconte l'histoire du roi Uruk, il y a quelques 2750 ans avant J.-C., dans l'ancienne Babylone, l'Irak d'aujourd'hui, pour attester de l'importance du lien entre ville et écriture.

Lewis Mumford, le plus important historien des villes, montre que la ville a certainement été traditionnellement un foyer essentiel au développement des échanges culturels. Ce sont les villes qui ont construit des marchés, des places, des théâtres et des bibliothèques comme celle d'Alexandrie Et aujourd'hui on l'identifie plutôt au web, à un hypertexte. L'image joue d'ailleurs dans les deux sens, puisqu'on compare aussi le web à une ville, avec son architecture, les échanges, ses domaines, ses inforoutes et routers, ses rues, ses circuits, ses réseaux, ses adresses électroniques et ses sites, la circulation, la vitesse, les ralentissements, les embouteillages, ses panneaux de signalisation pour le trafic que sont les icônes cathodiques et les hyperliens, ses places virtuelles, ses portails, ses banques, ses magasins, ses bibliothèques, ses cinémas, ses écoles, universités et musées virtuels, ses églises, son hôtel de ville et ses services publics (e-gouvernement, santé, éducation, etc.), mais aussi ses bannières, ses publicités, ses criminels, ses policiers et ses services très… privés. L’Argentin Alejandro Piscitelli parle même de l’internet comme la nouvelle imprimerie du XXIe siècle (Buenos Aires, 2005).

Une très belle œuvre des artistes Jeffrey Shaw et Dirk Groenveld, The Legible City (1988), nous proposait de circuler à bicyclette dans une ville textuelle virtuelle. On tournait le guidon à droite ou à gauche pour entrer dans des rues virtuelles formées de mots érigés en façades et lire ou organiser ainsi des sortes de phrases (une production du Zentrum für Kunst und Medientechnologie de Karlsruhe, Allemagne).

Derrick de Kerkhove, directeur du Programme McLuhan en culture et technologie à l'université de Toronto a entrepris en 2003, à l'inverse, un projet de Place du Village Global dédié à la mémoire de McLuhan, conçu comme une architecture virtuelle pour une communauté réelle. Il s'agit cette fois d'un dispositif de connections par visioconférence, offrant aux citoyens de villes distantes, comme Toronto, Milan, Naples, Varsovie ou Paris, la possibilité de se rencontrer et de se parler virtuellement en temps réel sur les écrans de places publiques: Le dispositif est une rotonde couverte qui protège huit grands écrans situés au centre. Chaque écran montre un des lieux en connexion. Une camera par écran enregistre et envoie l’image de ceux qui le regardent à un lieu correspondant ailleurs. Les gens peuvent ainsi se parler et s’entendre en toute liberté grâce à une zone sonore située à quelques mètres de chaque écran.

La ville lumière s’oppose à l’obscurité rurale, comme le Web écranique aux immenses territoires non connectés de la Terre.

Lewis Mumford était très préoccupé par la déshumanisation des grandes cités modernes, et il jugeait sévèrement les nouveaux projets par rapport à ce critère. En effet, la solitude urbaine est devenue un grand problème de notre époque. De multiples anecdotes sinistres en témoignent, parfois sur le même palier d'un immeuble. C'est pourquoi de plus en plus de municipalités voient dans les technologies numériques de nouveaux outils de développement de la solidarité et de l'intégration urbaine: portail municipal en ligne offrant de l'information et des services aux citoyens, forums de bavardage, dialogue entre les élus et les citoyens, etc.: e-démocratie et e-gouvernance sont en vogue. On valorise les idées de e-citoyen, d'internet citoyen coopératif et créatif, etc. Les villes des pays riches du Nord branchent leurs citoyens et se branchent. Il y a de plus en plus de communautés virtuelles de tous ordres, qui renforcent les solidarités, intègrent les citoyens, alors que l'architecture et l'urbanisme de nos métropoles ne semblent plus capables d'assurer, voire détruisent ce tissu social essentiel à la santé d'une ville. L'agora électronique complète la rue, la place, le centre commercial, les églises, les cafés, les maisons de la culture, etc. Beaucoup de municipalités comptent désormais un adjoint au maire chargé des technologies d'information.

D'autres villes se font fait connaître pour des branchements numériques moins conviviaux: les réseaux de webcams, ces caméras connectées au réseau de surveillance de la police, et qui permettent de contrôler à distance et en toute heure la circulation des personnes ou des automobiles. Et, dans le cas de la surveillance des personnes, il arrive que ces caméras soient couplées avec des logiciels de reconnaissance des visages ou d'identification de comportements classés suspects. Bref, de la convivialité à la surveillance, en passant par le voyeurisme ou la promotion touristique, tous les usages humains des sociétés urbaines, bons ou mauvais, se retrouvent éventuellement dans le cyberespace des hyperliens municipaux.

La métaphore urbaine du Web comme hypertexte planétaire

Et cette toile numérique, on se la représente aussi comme un hypertexte. La métaphore de la ville et des mots a rebondi dans le cybermonde, plus active que jamais. Nul doute que le développement des villes, comme celui du Web sont associés à un progrès de la civilisation. Et les comparaisons positives peuvent être multipliées. La ville, comme le Web font rêver ceux qui n’y sont pas et voudraient y accéder, y trouver fortune ou l’amour. Dans les deux cas, l’utopie technologique suggère un pouvoir magique, celui des villes, comme celui du numérique. Le cybermonde est un lieu de lumière, comme la ville, par rapport à l’obscurité rurale, un lieu d’information, de publicité, de communication. Un lieu d’échange et d’interactivité, un espace communautaire, libertaire, de nomadisme, d’excitation, de plaisirs, d’euphorisation, de pouvoir, d’abondance (presque gratuite dans le Web). La ville, comme le Web, sont des espaces de culture, de divertissement, de commerce et de finance, de consommation, d’éducation, mais aussi de sexe sous toutes ses formes et de criminalité. Ils soutiennent tous deux un style de vie qui reflètent en tout cette urbanité sophistiquée. Tous deux créent une dépendance, des apartheid, des solidarités et des solitudes. Tous deux sont des environnements d’où la nature est absente. Et pour reprendre les critiques des situationnistes et notamment la dénonciation par Guy Debord de la « société du spectacle » et de la marchandisation, on pourra souligner qu’avec le Web, nous passons à l’étape suivante, plus extrême, celle d’une société de l’écran, d'une société cathodique, qui ressemble même à une caricature de la ville!
(Hervé Fischer)

2007-05-22

La créativité du zapping et la logique des liens




Aujourd'hui, j'ai plaisir à céder la parole à Paul Cauchon, journaliste québécois des médias, qui commente dans Le Devoir du 19 mai l'émission que l'humoriste, comédien et musicien Jici Lauzon a consacrée au zapping. Le zapping a mauvaise réputation. Et pourtant la zapette est l'une des plus belles inventions du monde de la télévision, l'emblème de notre ultime liberté médiatique. Elle permet de zapper le harcèlement de la publicité et d'échapper à la bêtise qu'elle exploite si souvent. C'est aussi le symbole de notre nouvelle structure mentale, qui fonctionne selon la logique des liens et non plus seulement de la causalité linéaire, terriblement réductrice par rapport à la complexité du monde, et trop souvent instituée comme un mode d'exercice du pouvoir idéologique central sur ses sujets. Voici donc l'intégrale de l'article de Paul Cauchon:

La pire chose qui pourrait arriver à Jici Lauzon, c'est qu'on zappe pendant son émission. En effet, dans cette édition de Mon oeil (une série de documentaires réalisés par des personnalités connues), Lauzon examine justement les ravages du zapping. On en parle peu souvent, mais l'invention de la télécommande est sûrement aussi importante que celle de la télévision en couleur et sûrement davantage que celle de la haute définition, dont on fait tout un plat. Avec humour, bien sûr, mais aussi avec sérieux puisqu'il mène des entrevues avec des universitaires et des spécialistes en tout genre, Jici Lauzon fait le procès de cette invention diabolique. Selon une étude américaine, un téléspectateur moyen peut zapper de 4 à 107 fois la minute. Les plus grands zappeurs? Les hommes, et particulièrement ceux de 35 à 44 ans. La télécommande est un enjeu de pouvoir chez les couples, où on se dispute pour savoir qui la contrôlera. Elle a mis fin à la fidélisation envers les chaînes pour permettre l'essor des chaînes spécialisées. Elle fait paniquer les annonceurs, qui cherchent maintenant à intégrer la publicité dans les émissions, et elle pourrait être responsable de déficits d'attention. Même les politiciens s'y sont adaptés en cherchant les petites phrases-chocs qui vont retenir le téléspectateur! Elle serait le symbole de l'ensemble de nos comportements humains: en effet, nous zappons de plus en plus les relations et les amours, obsédés de trouver la bonne personne en trois minutes. Mais c'est aussi «une valeur ajoutée», soutient Hervé Fischer, puisqu'elle permet «un contrôle sur le désordre et la vitesse du monde». Pas mal.

On pourra voir cette émission au Canal D, le 23 mai, à 20h: "Mon oeil! - Le procès du zapping", Canal D, 20h
(Dans l'image d'écran de télévision ci-dessus, nous avons aussi le privilège d'observer notre "cosmogonie impressionniste", dont je vous entretenais dans une chronique précédente)

2007-05-17

Corps humains plastinés


Les plastinations de cadavres humains réalisés par Gunther von Hagens constituent un événement considérable. En visitant cette exposition présentée actuellement au Centre des sciences de Montréal, je suis fasciné par l'extraordinaire complexité, l'intelligence et la réussite dont témoigne l'évolution du corps humain. Là comme en beaucoup d'autres domaines, là plus qu'ailleurs en ce qui concerne notre cerveau, la nature atteint un degré de perfection qui laisse très loin derrière tous nos projets de robots, de prothèses bioniques, de cyborgs, etc. L'être humain m'apparaît comme la tête chercheuse de l'intelligence qui anime la matière. Et nous devenons même capables de déchiffrer notre ADN, nos gènes et nos protéines et d'agir sur notre propre évolution.
L'exposition de Gunther von Hagens choque évidemment, parce qu'elle évoque d'abord la mort que nous redoutons tous: on nous montre des cadavres véridiques.Mais au-delà de cette première réaction, cette exposition n'apparaît pas morbide, car les corps plastinés nous sont présentés dans des attitudes de vie, celles de nos gestes quotidiens et même de sport intensif, et nous invitent à admirer la puissance et la merveille de nos corps. Rien de tel pour prendre conscience de notre privilège d'être en vie. .
Il s'agit d'une célébration de la nature et de la vie humaine. Les balbutiements critiques des gourous du posthumanisme apparaissent insignifiants par rapport à la puissance de la nature. Ce n'est pas demain que le silicium relèguera le carbone à la préhistoire de notre avenir. Ici, le silicium utilisé dans la plastination met au contraire en valeur la vie organique, biologique, et non pas des machines intelligentes ou spirituelles, comme en rêvent Ray Kurzweil et quelques autres gourous ingénus.
C'est une démarche artistique au sens fort du terme, parce qu'elle célèbre la créativité de la nature et de l'homme au sein de la nature. Elle rejoint à sa manière ce que j'appelle les arts scientifiques dans leurs tendances extrêmistes, où cependant la vie l'emporte sur la morbidité et sur les lieux communs de la science-fiction.
Et ces corps plastinés nous inspirent même dans nos projets les plus créatifs, comme des modèles d'imagination et de réalisation.
Hervé Fischer

2007-05-12

La double profondeur du web











Les métaphores océaniques du web


Nous crawlons le web, nous surfons le web comme sur la mer, nous y naviguons comme sur l'océan. Nous en y découvrons des continents électroniques. Et nous en soupçonnons la profondeur, les abîmes inaccessibles. Nos moteurs de recherche y pratiquent le cabotage sans s'éloigner des côtes. Et les spécialistes nous disent qu'au-delà des dix milliards de pages web indexées par exemple par Google, il existe quelques cinq cents milliards de plus de pages dans le web profond, que seuls des moteurs de recherche spécialisés, peuvent atteindre éventuellement.
La compagnie américaine Bright Planet (www.brightplanet.com) souligne que ces innombrables informations ne sont accessibles qu'au sein de centaines de milliers de sites web, où elles ne sont pas indexées, sans compter celles, incalculables, qui exigent un mot de passe pour y accéder et demeurent donc invisibles aux robots de plongée.
Michael K. Bergman, qui s'est spécialisé dans ces questions, a recensé quelques 275 moteurs de recherche sémantique spécialisés, qui font de la plongée (http://www.mkbergman.com/?p=291). Le site de CompletePlanet propose un inventaire de plus de 70.000 moteurs de recherche et sites spécialisés (http://aip.completeplanet.com). Le site présente: A comprehensive listing of dynamic searchable databases. Find databases with highly relevant documents that cannot be crawled or indexed by surface web search engines:
Et on pourra voir dans la liste de domaines proposés, que le web profond concerne tous les thèmes d'activité.
All Topics >>
Agriculture, Games & Hobbies, Military, Religion, Arts & Design, Government, Music, Science, Business,
Health, News, Search Engines, Computing & Internet, Home & Garden, Newspapers, Shopping, Education,
Humanities, People, Social Sciences, Energy, Jobs & Careers, Places, Sports, Engineering, Law, Politics,
Transportation, Environment, Literature, Products & Technology, Travel, Family, Living things, Recreation,
Weather, Finance & Economics, Magazines & Journals, References, Food & Drink, Media & Entertainment,
Regional

On trouvera dans wikipedia en anglais et en français un article significatif sur l'historique et le développement du web profond: (fr.wikipedia.org/wiki/Web_profond ). Je recommande aussi le site suivant sur le web invisible: http://c.asselin.free.fr/french/invisible_web.htm

La double profondeur du web

Il ressort de cette constatation que la difficulté de la veille spécialisée tient non seulement à l'expertise préalable requise, et à l'analyse qui validera et articulera les informations colligées, mais aussi à ce défi qu'il faut relever: accéder aux informations les plus récentes, les plus pointues et donc les plus spécialisées: précisément celles qui sont souvent invisibles aux moteurs de recherche connus. Nous nous heurtons là à une double profondeur du web, si je puis dire: trouver les bons moteurs de recherche, souvent inconnus, pour trouver les bonnes informations, souvent invisibles.
On peut se demander si l'océan du web va devenir de plus en plus profond, ou si les grands moteurs de rechercher vont se regrouper ou se fédérer pour assurer le relais automatique de l'un à l'autre dans la pêche profonde et arrimer leurs filets pour râcler plus efficacement le fond de l'océan. Demeureront ceux qui veulent réserver l'accès de leurs banques de données (intranets ou contrôles de billetterie, et ceux qui veulent échapper à toute surveillance.
Il y a aussi les pirates et les détectives, ceux qui tentent d'entrer dans les sites sous haute sécurité pour faire de l'espionnage militaire, économique, financier, et ceux qui veulent pour des raisons de sécurité percer tous les encryptages. Le fond des océans risque d'être très fréquenté un de ces jours.
Hervé Fischer

La magie noire du blackberry



C'est l'imaginaire qui mène le monde. Et le numérique y ajoute sans retenue. Il satisfait bien des désirs et des besoins irrationnels. Il faut y penser, quand on pratique les arts numériques, tout aussi bien que le commerce des gadgets. Ainsi, beaucoup d'entre nous tètent leur téléphone cellulaire à longueur de journée, comme la tétine du corps social. Ça les rassure manifestement. Manuel Castell s nous dit avoir vu en Afrique du Sud des adeptes de la bicyclette, qui rechargent leurs cellulaires en pédalant. L'invisibilité du lien sans fil augmente l'intensité du fantasme.
Après avoir goûté jadis au fruit défendu de la Bible, nous mordons aujourd'hui dans la belle pomme Macintosh de Apple. Avec la fabuleuse dent bleue Bluetooth? En fait, cette carte électronique au nom étrange ne mord pas, mais assure la mise en réseau sans fil de nos ordinateurs et gadgets domestiques. Et voici le fruit noir, le fameux Blackberry. Il s’agit d’un téléphone cellulaire/agenda électronique multifonctionnel, qui permet aussi de recevoir et envoyer des messages avec l’internet, où que l’on soit. Les campagnes électorales récentes ont assuré sa gloire médiatique.
Bien sûr, le noir anglais lui donne a priori un air sérieux. Celui qui possède un « black » se classe d’office dans la catégorie des gens d’élite et d’action. Mais en même temps, cet objet mystérieux, dont la puissance miniaturisée pourrait intimider, évoque ce petit fruit si simple, dont on fait des confitures et des tartes, suggérant une communication facile et agréable. La symbolique de cette petite baie noire en grappes sucrées nous séduit par l’évocation de la nature innocente et jouissive du paradis terrestre. Voilà la puissance du numérique sous les traits candides du mythe de la nature.
Et pourtant! Il n’y a pas de fruits sans pépins! Cette belle magie a déjà trahi plus d’un homme politiqu
e, pour avoir cliqué trop vite sur le mauvais fichier et envoyé ainsi à des journalistes aux aguets, des informations réservées à un usage confidentiel des candidats en lutte pour le pouvoir.
Et honni soit celui qui a fermé son black, car il risque de manquer une information prioritaire ou de ne pas répondre sur le champ à une question stratégique. Le black nous tient la main dans une laisse électronique, exigeant une disponibilité quasi constante. La nature humaine n’évolue pas aussi vite que les technologies. Elle a ses habitudes, ses exigences de calme et de lenteur, ne serait-ce que pour se reposer, ou même penser! Mais il est dans la nature du black de requérir de son heureux propriétaire une performance humaine! Il faut désormais savoir et réagir vite; voilà, dit-on, l’ADN de notre époque. Bill Gates en a fait un slogan de vente. La vitesse de l’ordinateur est devenue la nouvelle loi de la sélection naturelle et de la survie des entreprises, des médias et des partis politiques. S’informer, acheter, vendre, avant l’autre! Au risque de disparaître et de se tromper! Cliquer avant son ombre, comme des Lucky Lucke numériques. Nous vivons dangereusement! Et le black s’impose alors à nous comme un incontournable asservissement. En plus, il permet à votre famille de communiquer facilement en tout temps avec vous. Un immense avantage, alors que vous êtes devenu un homo connecticus absentis!
Mais ce n’est qu’un début! La miniaturisation du blackberry va permettre dans un proche avenir de libérer votre main, qui le tenait toujours au chaud et prêt à s’allumer, grâce à l’implantation d’une puce sous la peau, de la taille du petit fruit noir. Ainsi sur le chemin de notre évolution vers le bonheur, jouissant d’une puissance toujours plus rapide et invisible, vous serez connecté 24h sur 24 au mouvement qui mène le monde, puissant esclave des affaires, des médias, et des événements en temps réel.
Cela vous inquiète? Rassurez-vous, lorsque vous dormirez, un petit chant d’oiseau programmé dans la puce noire saura vous réveiller merveilleusement et graduer son alarme selon l’urgence de la nouvelle. Alors, les boutons intelligents de votre pyjama scintilleront pour vous inviter à vous jeter sur le clavier de votre black. Et nous cultiverons le blackberry!

2007-05-10

De la « Singularité » ou du « Mur du futur »


La science-fiction a orchestré cette notion de limite au-delà de laquelle nous ne serions plus capables d’imaginer le temps, l’espace, le futur. Il en serait de même, par exemple, des « trous noirs » de l’espace astrophysique, qui aspirent toute information à leur sujet dans un vortex exponentiel et seraient peut-être, selon la littérature, les portails d’autres univers. Ainsi sommes-nous incapables d’imaginer l’au-delà de la vitesse de la lumière, ou l’en deçà du Big Bang. Évidemment, cette « singularité » intéresse au plus haut point les artistes qui travaillent avec les technologies numériques, notamment dans les domaines de l’intelligence et de la vie artificielles. Le congrès Mutamorphosis de Prague en novembre 2007 (http://www.mutamorphosis.org) ne pourra manquer de l’aborder. Et pour mieux le comprendre, revenons d’abord à cette conversation de Stanislaw Ulam avec John von Neumann il y a cinquante ans, qui est à l’origine de cette réflexion. L’une des conversations avait pour sujet l’accélération constante du progrès technologique et des changements du mode de vie humain, qui semble nous rapprocher d’une singularité fondamentale de l’évolution de l’espèce, au-delà de laquelle l’activité humaine, telle que nous la connaissons, ne pourrait se poursuivre. Ce serait aussi ce qu’on a appelé la fin de l’histoire.

Et les historiens des idées soulignent que ce serait le cas lorsque les humains auraient mis au point ce superordinateur aussi puissant qu’un cerveau humain, puis que dix cerveaux humains (les machines spirituelles de Ray Kurzweil, prévues pour 20025… ) qui, à son tour, serait donc capable d’en concevoir d’autres encore plus puissants que ceux que nous sommes capables de concevoir. Irving John Good a parlé à ce sujet en 1965 d’une explosion d’intelligence artificielle (au silicium), qui dépasserait rapidement notre intelligence humaine physiologique (qui fonctionne au carbone), et nous atteindrions alors ce « mur du futur »*.

La technoscience devenant alors le principal moteur de notre évolution, selon « sa » propre logique, nous ne pourrions plus guère y intervenir en tant qu’humains.

Imaginer ou penser?

Le terme de « singularité » a été repris abondamment en physique, en mathématiques, calculé et pensé sous toutes sortes de théorèmes, allant de l’asymptote vertical à la théorie de la catastrophe (René Thom).

En mécanique quantique, nous sommes capables de calculer – est-ce penser? Sans doute! – ce que nous ne pouvons ni visualiser, ni même imaginer. La relativité einsteinienne nous suggère de toute façon que le simple fait d’observer un phénomène, ou de tenter de le mesurer, le modifie profondément. Nous sommes donc alors face à une limite infranchissable de nos connaissances. Changeons de registre : imaginer Dieu est théoriquement impossible, et dans certaines religions, strictement prohibé. Pourtant nous pensons Dieu : les traités de théologie ne manquent pas. On pourrait se risquer ici à dire que nous sommes capables de penser et même de calculer au-delà de ce que nous pouvons voir – certes -, mais même imaginer. Et que faisons-nous alors? Nous inventons des histoires : des religions, des récits de science-fiction; bref, nous élaborons des mythes qui nous tiennent lieu d’explications pour ce que nous ne pouvons même plus imaginer. Pourtant, si, nous imaginons et représentons Dieu ou des démons, comme aussi bien Vénus, Jupiter, des dragons ou des esprits, nous leur prêtons des faits et gestes, des sentiments, des formes apparentes qui sont toujours anthropomorphiques : ils nous ressemblent, à nous, les humains, en plus puissant, plus beau, plus intelligent, immortel, etc. C’est par les mythes que nous surmontons naïvement le mur de la Singularité. Toujours, au-delà de ce mur, nous imaginons des puissances gigantesques, surhumaines. Et puisque les gourous du posthumain (Ray Kurzweil - www.kurzweilai.net) et autres extropiens (Max More - www.maxmore.com), prévoient que nous allons nous dépasser nous-mêmes grâce à des machines intelligentes, puis spirituelles, d’ici moins d’une génération maintenant, (du fait de la Loi de Moore, qui prévoit que notre puissance computationnelle double tous les dix-huit mois), nous allons connaître une véritable mutation, celle de l’empowerment, qui va nous faire participer, nous aussi, à ce monde des surpuissances qui habitent de l’autre côté du mur de la singularité.

Comment analyser cette vision qui relève de notre instinct de puissance**? J’invoquerai ici le recours à la mythanalyse***, car nous sommes au cœur de l’imagination mythique.

Arts scientifiques ou arts de la science-fiction?

Il ne faut pas être surpris, dès lors, que les arts numériques explorent cette vision. On pourra citer ici le bioart, les arts de la génétique (Eduardo Kac - www.ekac.org ), les démarches qui exploitent la bionique (Stelarc - http://en.wikipedia.org/wiki/Stelarc), l’art à distance (téléprésence, l’art sur l’internet), le recours à l’intelligence et aux nanotechnologies pour concevoir des chimères et de la vie artificielle (http://www.vieartificielle.com/). Plusieurs concoivent l’art comme une démarche postbiologique (www.olats.org/projetpart/artpb/mono_index.php). Et la réflexion d’un pionnier comme Louis Bec, fondateur de l’Institut paranaturaliste, est un incontournable ( www.medienkunstnetz.de/artist/bec/biography). Nous sommes là dans les exploitations ou les simulacres de la recherche scientifique de pointe.

Mais il n’est pas exagéré de parler aussi de séduction de la magie à propos de la convergence multimédia visant à l’art total et exploitant l’interactivité avec des joysticks et des interfaces qui évoquent de véritables bâtons de magie. La commande tactile ou vocale numérique aurait fait verdir de jalousie le sorcier de jadis. Les algorithmes fonctionnent comme des formules magiques qui font apparaître, disparaître ou modifient des formes et des présences sur les écrans cathodiques. Les arts de la scène qu’on dit « augmentés » (empowerment des acteurs et des décors), sont de plus en plus en vogue, notamment au Québec (Intermédialité, Alternative Visions, Ex Machina de Robert Lepage, etc.). Les effets spéciaux au cinéma sont devenus monnaie courante. Nous en redemandons. Des artistes développent des tissus intelligents et interactifs, des ordinateurs vestimentaires, aux effets visuels surnaturels. Des laboratoires travaillent sur des « ordinateurs vivants », des puces que l’on peut hybrider avec le corps humain, sur la simulation, les simulacres et les avatars, l’immersion virtuelle, les agents intelligents, la robotique, les effets kinesthésiques. Il ne fait plus de doute que toutes ces nouvelles approches que j’ai proposé d’appeler les « arts scientifiques »,sont en fait des arts du dépassement de ce qui serait le réalisme, le naturalisme.

Obsédés par les limites qui les retiennent dans nos projets de surpuissance, beaucoup d’artistes abordent des démarches extrêmes, osent des transgressions physiques, scientifiques, cognitives, morales. Ils sont plongent sans répit dans l’imaginaire de l’au-delà du mur de la singularité, et rejoignent alors très nettement – il faut le souligner avec force, car cela ne se dit jamais - l’imaginaire, les thèmes et les technologies de la science-fiction, la morale simpliste et archaïque du Bien et du Mal en moins, car ils ne visent pas encore de plaire au grand public. Ils sont plutôt des chercheurs, des inventeurs de nouveaux écosystèmes artistico-humains.

(Hervé Fischer)

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*Staring into the Singularity 1.2.5. From The Low Beyond. ©1996-©2001 by Eliezer S. Yudkowsky. http://sysopmind.com/singularity.html. Traduction française, Transition, Édition Hache, 2004.

** CyberProméthée. L’instinct de puissance, vlb, Montréal, 2003.

** La société sur le divan. Éléments de mythanalyse, vlb, 2007.

2007-05-08

La cacophonie du web, c'est celle du monde

Michel Cartier, fondateur, il y a dix-huit mois, du réseau ConstellationW (www.constellationw.com), qui comportait une newsletter, une webographie et des commentaires réguliers, vient de déclarer forfait, constatant ce qu'il appelle " son insuccès ".
Malgré l'implication au départ d'une cinquantaine d'auteurs et collaborateurs potentiels reconnus, il note que le modèle d'analyse et les idées proposés n'ont pas été repris par d'autres, coupant court à son développement. Il fait trois constatations, dont nous retenons ici quelques éléments clés :
- Première constatation : des intelligences isolées
Nous avons assisté à un feu d'artifice d'intelligence isolées mais peu portées vers des efforts collectifs.
- Deuxième constatation : le brouhaha du Web
Actuellement, tous les internautes désirent exprimer leurs opinions (blogues, wiki, etc.) mais peu lisent ou écoutent les autres. Le Web, où des millions d'informations non validées circulent dans le plus grand désordre, devient cacophonique…
Cette cacophonie actuelle empêche la création de synthèses collectives face aux exigence d'un changement profond, d'un renouveau démocratique et d'un new deal socioéconomique. Nous allons payer cher notre incapacité actuelle à lire les signaux qui s'accumulent depuis cinq ou dix ans.
- Troisième constatation : la francophonie ne fonctionne pas
Alors qu'Internet devient la scène où se prépare l'avenir (parce que c'est l'espace où les symboles et leurs sens sont échangés partout sur la planète) il n'y aura pas d'approche francophone capable de contribuer différemment aux discussions qui s'amorcent.

Et il nous communique des statistiques significatives, à plusieurs égards encourangeantes, de la fréquentation de ConstellationW (de janvier 2006 à avril 2007)
Nombre de visites : 174 912
Visiteurs uniques : 54 192 (175 par jours) (38 % sont revenus plusieurs fois)
Durée de la visite : 1 à 5 minutes **
Origine : Canada 30 %, États-Unis 26 %, France 16 % **
Collaborateurs : 77 inscrits, 16 participants actifs **
** insuffisant

Je voudrais ici rendre hommage à la vision et à la volonté de Michel Cartier. Saluer aussi sa lucidité.
Je parlais dans un blogue précédent, de notre cosmogonie impressionniste, de nos médias impressionnistes. La cacophonie du web, que dénonce Michel Cartier, ne fait que refléter la cacophonie du monde lui-même, même si plusieurs parlent à propos du web d'intelligence collective. Derrick de Kerkhove, directeur du Programme McLuhan à Toronto, s'en tient, avec plus de réalisme, à une intelligence connective. Elle est incontestable. La réalité est que nous lisons tous beaucoup, nous consultons énormément. Nous cannibalisons les informations qui circulent sur le web et nous en faisons la matière de nos réflexions et de nos prises de position. Le résultat n'est pas harmonieux ; chacun s'y comporte en tirailleur isolé et les meilleurs tireurs tiennent généralement à leur indépendance hors de toute église. Mais les coups résonnent assez bien. Le web n'est pas aussi intégrateur, que l'aurait sans doute voulu le projet de Michel Cartier, qui souhaitait nous réunir sur un même terrain de jeu, mais il n'en demeure pas moins que nous sommes tous de plus en plus connectés au web. L'internet est un véritable cordon ombilical numérique qui s'ajoute stratégiquement aux autres médias et aux livres pour nourrir nos réflexions. Mais il n'est pas requis de fédérer la pensée pour la faire avancer. Entre le chaos et le cosmos du monde, que nous retrouvons bien évidemment dans le chaos et le cosmos des idées et donc aussi dans le chaos et le cosmos du web, nous sommes tous en quête de sens, de construction de modèles, en dialogue permanent. Ce dialogue est visible, même lorsqu'il ne se déclare pas. C'est ce que démontrent les succès de Wikipédia, de Youtube, etc. Et cet Observatoire international du numérique vise aussi à adopter une plateforme wiki d'outils collaboratifs dès que possible.
Il faut saluer le travail de Michel Cartier et rester aussi optimiste qu'il l'a si souvent été lui-même. Chacun de nous contribue, dans un désordre inévitable et sans doute nécessaire, au progrès des idées, qui peut-être, un jour, s'incarnera plus lisiblement dans le progrès de l'humanité. Il n'y a pas de création sans désordre, sans divergence.
(Hervé Fischer)

2007-05-01

Cosmogonies impressionnistes

Tels des mouvements brownien s

Confrontés aux flux disparates d'informations numériques, nous créons une cosmogonie dont les deux pôles imaginaires se situent entre une unité irréelle mais virtuellement nécessaire (cosmos), et une fragmentation dispersée d'informations disparates (chaos), telles les multitudes de touches des peintres impressionnistes ou divisionnistes, à la surface desquelles nous tentons de tracer de la pensée linéaire et des arabesques, pour créer des configurations locales cohérentes qui puissent leur conférer un sens. C'est ce que je propose d'appeler, du point de vue cognitif, l'impressionnisme numérique. La plupart de nos questions contemporaines significatives, en astrophysique, en épistémologie, en sociologie, en psychologie, en théorie de la communication relèvent de la prise de conscience de cette nouvelle cosmogonie impressionniste.
Ainsi, nous découvrons régulièrement, au fur et à mesure de nos nouveaux télescopes électroniques, de nos nouveaux algorithmes en astrophysique des corps célestes, des exoplanètes, des galaxies, des quasars que nous numérotons et ajoutons les uns aux autres, comme autant de fragments d'un puzzle supposé constructible, mais dont l'unité nous échappe. En vain, nous tentons de concilier des théories inconciliables. Nous parlerons ici d'astrophysiques impressionnistes.

La biologie elle-même, la physique atomique, la génétique, la mécanique quantique, vibrent d'essaims d'informations instables et infiniment parcellaires, dont les ensembles sont supposés s'organiser dans des théories unificatrices encore inaccessibles. Nous sommes face à des épistémologies impressionnistes.
Du point de vue de la psychologie, nos identités individuelles ne sont guère plus que des impressions, des consciences divisionnistes qui évoluent entre le sentiment virtuel d'une personnalité psychique cohérente et les multiples rôles sociaux disparates, voire contradictoires où nous nous investissons selon les moments et les lieux de notre vie sociale. Et chacun de nous peut apparaître à lui-même et aux autres comme un essaim impressionniste de faits, gestes, pensées et sentiments centrifuges, dont nous nous efforçons de rassembler la configuration unitaire. Nous sommes confrontés à un impressionnisme psychologique. Nous avons une conscience impressionniste du monde et de nous-mêmes.
Nous nous pensons uniques au sein de masses sociales virtuelles où nous nous agglomérons pourtant comme autant d'individus plus ou moins semblables, voire interchangeables. Dans nos sociétés de classes moyennes, nous prenons conscience d'être des molécules de corps sociaux virtuels, qui évoluent selon les mêmes arabesques aléatoires que les essaims de poissons ou de perroquets dans leurs milieux aquatique ou aérien. Chaque individu est unique et isolé comme une touche divisée d'énergie dans une masse chromatique bigarrée qui donne une impression d'ensemble familier. Nous sommes à l'âge de l'impressionnisme social.
Brassés dans la nouvelle société de l'information, nous sommes happés par des flux d'informations éparses, décousues, en contact sans être liées, comme autant de monades closes, discordantes et qui pourtant appartiennent à la même surface des médias, telles les touches juxtaposées sur la surface de la toile des peintres impressionnistes. Coupées-collées, elles baignent dans la même énergie informationnelle, virtuellement cohérente. Cela vaut pour les journaux et leurs capsules typographiques, pour les programmes de télévision que nous zappons, pour les brèves informationnelles des programmes de radio. Et la toile du web, avec ses multiples hyperliens ponctuels, hétéroclites et pourtant imaginairement rassembleurs nous apparaît comme la métaphore même de cette cosmogonie impressionniste. Nous parlerons ici de médias impressionnistes.
Et bien entendu, la matière même des images de nos écrans, le balayage électronique des corpuscules lumineux sur les surfaces cathodiques, la vibration des pixels de nos imageries synthétiques ont souvent été décrits comme un impressionnisme numérique.
On nous vante même dans un film commercial une lecture fascinante en 3D des touches de peinture fébrilement juxtaposées des tableaux de Van Gogh. Nous avons adopté une sensibilité impressionniste.
Décidément, la vision des peintres du XIXe siècle était prémonitoire. Ils traduisaient ainsi une nouvelle conception de la perception sensorielle, qui renvoyait aussi, à leur insu, à une nouvelle conscience sociale. Et cette technique de petites touches juxtaposées de couleur vive vaut aujourd'hui globalement pour notre vision informationnelle et numérique du monde au XIXe siècle. Elle se décline dans tous les aspects de nos théories, de nos consciences individuelles et sociales, de nos sentiments et de nos perceptions, en science, en art et en éducation. Notre cosmogonie est devenue impressionniste.
Hervé Fischer - mars 2007.
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