La littérature électronique n’existe pas
À parler clairement, nous dirons donc que la littérature électronique n’existe pas. Les livres de littérature peuvent certes être reproduits, diffusés et promus efficacement par internet. Mais lorsqu’un écrivain quitte son territoire textuel pour s’approprier les sons, les images, le mouvement, voire l’interactivité, il ne fait plus œuvre de littérature, mais de webart. Le webart a déjà une vingtaine d’années d’existence. Il a ses créateurs, un début d’histoire et même son musée : le Museum of webart**. Les pionniers sont déjà innombrables. Ils viennent soit de la littérature, soit de l’art vidéo. On trouvera quelques précurseurs anglophones dans le texte d’Anne-Marie Boisvert Littérature électronique et hypertexte***. Parmi les francophones, mentionner Jean-Pierre Balpe ou Jean-Louis Boissier, c’est être injuste avec beaucoup d’autres, trop nombreux pour être cités. On les trouvera heureusement sur le site du Laboratoire NT2 de recherche sur les œuvres hypermédiatiques dirigé par Bertrand Gervais à l'UQÀM, dans un remarquable répertoire de quelques 3000 œuvres****, qui a le mérite de nous aider à découvrir ces œuvres trop méconnues. Signalons aussi la revue de littérature hypermédiatique en ligne Bleuorange que viennent de créer Anick Bergeron, Bertrand Gervais et Alis van der Klei *****.
Les créateurs de webart ont produit des œuvres sur cédérom, sur DVD et en ligne, voire en édition hybride : un livre papier accompagné d’un disque. Mentionnons, entre autres, Navigations Technologiques, sous la direction d’Olivier Dyens (vlb, 2004), L’emportement, suivi de Plaisirs, le film, de Yannick B. Gélinas, aux éditions Planète rebelle (2006).
La disparition annoncée des cédéroms, DVD et autres disques numériques
Il est d’autant plus justifié de parler de webart, que ces nouvelles formes narratives seront de plus en plus exclusivement présentées en ligne, et non plus sur cédéroms ou DVD. Le web prend manifestement sa place pleine et entière comme média alternatif du livre. Et paradoxalement, ce n’est pas le livre, qu’il va faire disparaître, loin de là, mais les supports numériques sur disques tels que les cédéroms et autres DVD, même ++. Comme beaucoup, j’ai une bibliothèque imposante de cédéroms et de DVD, comptant des œuvres maîtresses, des classiques et des incontournables. Mais j’ai perdu l’habitude de les chercher sur l’étagère, et de les charger dans mon ordinateur. L’internet m’offre une rapidité, une flexibilité, un moindre effort et une valeur ajoutée (les hyperliens arborescents infinis), qui seule peuvent rivaliser avec l’ergonomie parfaite du livre papier. Même les encyclopédies universelles sur disque vont disparaître, si elles ne sont pas accessibles en ligne, sans bouger de ma chaise, avec l’avantage d’être régulièrement actualisées. Les disques vieillissent trop vite. Ceux d’il y a dix ans ne sont déjà plus accessibles avec les programmes informatiques actuels.
Le webart aussi, malheureusement, vieillit très vite. Comme il revendique les performances du progrès technologique, pour se faire valoir face à la concurrence du livre ou de la toile à peindre, il vieillit même très mal. Le progrès tue le webart. À moins que l’auteur ne soit disponible, prêt à constamment l’actualiser avec les derniers plugs in, et à assurer sa compatibilité avec les différentes plateformes, ne serait-ce qu’avec les systèmes Appel et PC. Il se conserve en outre très mal, même sur le web, qui offre une plus grande pérennité que les disques. Mais rien de comparable avec un vieux codex, ou même avec un film sur support argentique! Le webart naît et meurt tous les jours. Faudra-t-il s’y résigner? Les gouvernements actuels ne devraient-ils pas créer des bibliothèques numériques de conservation, comme jadis les pharaons ou les rois instituaient des grandes bibliothèques publiques? Mais le problème est pire. Il ne suffit pas, comme jadis, de réunir les œuvres et de les mettre à la disposition des usagers. Aujourd’hui, les bibliothèques numérisent à tour de bras les livres. Bravo pour l’accès à distance. Mais c’est une grande illusion que d’espérer ainsi mieux les conserver. Le progrès technologique accéléré rend le numérique fragile et éphémère.
Ne devrait-on pas prioritairement investir dans la conservation du webart contemporain, pour qu’il ne soit pas perdu avant même d’être connu?
Hervé Fischer
* Bruno Guglielminetti: http://www.radio-canada.ca/radio/techno/categorie.asp?cat=197
**Museum of webart : http://www.mowa.org/
*** Anne-Marie Boisvert : http://www.larevuedesressources.org/article.php3?id_article=28
**** http://www.labo-nt2.uqam.ca/observatoire/repertoire
***** http://revuebleuorange.org/
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