2014-01-31

Les sociétés écraniques (6)



- Le cannibalisme de l’écran. Les écrans auront donc de plus en plus de présence et de pouvoir dans le monde du XXIe siècle. Il ne faut pas s’étonner alors que non seulement les gestionnaires et les scientifiques en usent et en abusent, mais que les artistes aussi les investissent, comme des espaces imaginaires qui les appellent! Les écrans sont déjà connotés en tant qu’espaces cinématographiques, télévisuels, et donc narratifs. Les artistes peuvent en renforcer l’interactivité, mais ils ne peuvent plus en réduire la multisensorialité. En d’autres termes, l’écran exige l’image en mouvement et le son, autant dire le multimédia et l’événementiel. Les écrans sont devenus sonores. Couper le son de la télévision ou d’une projection cinématographique, c’est déréaliser les images, quasiment les anéantir. Les arts visuels, au sens traditionnel et iconique du terme, s’accommodent mal de la dynamique de l’écran. La peinture, le dessin, la sculpture en subissent le contrecoup.

Non seulement les écrans cannibalisent le réel, comme l’a dénoncé Jean Baudrillard avec l’émotion du tragique, mais avec les écrans dynamiques, le mouvement en emporte même les images. Il les affiche pour les effacer aussitôt, dans le pétillement de l’instantanéité. La montée en puissance des écrans, dans la mesure où ils remplacent les matériaux inertes, le papier, la toile, a créé un choc dans l’histoire de l’art, une rupture qui pourrait paraître irréversible, mais contre laquelle il faut lutter, car c’est aussi nous-mêmes que les écrans se préparent emporter dans leur instabilité brownienne. Comme si, pour reprendre les termes de cette mystification étrange en termes plus réels, c’étaient les hommes qui se cannibalisaient eux-mêmes en s’engouffrant dans les écrans qu’ils manufacturent et commercialisent fébrilement.

Les sociétés écraniques (5)



- Instrumentation. Il faut dire que l’écran est devenu aussi un instrument, un dispositif d’interaction, une interface opérationnelle entre la nature et nous. C’est sur nos écrans de laboratoires scientifiques que nous modélisons de plus en plus la nature en fichiers numériques. C’est aussi sur les écrans que nous agissons, changeant ici un chiffre – par exemple le taux de base de la Banque centrale, le niveau de pression que nous insufflons dans une enceinte, la trajectoire d’un missile, la molécule ou le gène que nous ajoutons dans une expérience, etc. L’écran constitue alors un tableau de bord. Il est quadrillé. On y agit à distance pour mener une opération chirurgicale robotisée. L’écran est dynamique, on y déplace des objets virtuels ou supposés réels, on y change des paramètres, on y traduit un phénomène en fausses couleurs pour le lire sous divers angles. Il devient un lieu d’expérience, de manipulation virtuelle et de gestion, incluant de plus en plus de dimensions : l’espace, le temps, le mouvement, la mémoire, la narration, et des instruments de contrôle cybernétique.

Les sociétés écraniques (4)



-La contamination écranique. Une autre façon de le dire serait de souligner une sorte de contamination entre les écrans et le réel. De même que la diffusion de masse des cartes postales et des reproductions de paysages impressionnistes a modifié notre perception de la nature (dont on ne soulignera jamais assez à quel point elle est culturelle), de même, nous apprenons à voir le réel à travers les images de nos écrans. Cette hybridation, c’est la même qui a donné jadis une coloration animiste ou polythéiste ou maintenant touristique, écologique ou productiviste à notre vision de la nature, selon les cultures, les idéologies et les attitudes humaines, et qui crée aujourd’hui une nouvelle réalité, dite artificielle. 

Les sociétés écraniques (3)


-La survalorisation du monde écranique. Les écrans, de toutes sortes, se multiplient dans notre environnement quotidien : écrans de montre, de compteur, de téléphone, de télévision, de cinéma, d’ordinateur, de borne publique, de publicité, de signalisation, de recherche scientifique et médicale, et de jeux : le réel se décline sur tous les écrans de la vie avec une puissance conquérante irrépressible. Les écrans publics deviennent de plus en plus grands et lumineux, lisibles même en plein soleil. Les écrans permettent la communication à distance, l’immersion perceptive, ils suscitent une délocalisation de la vie, un nomadisme des messages, une multifonctionnalité des informations, un hyperréalisme des images, et une interactivité quasi magique, qui transforme le monde en un caléidoscope d’écrans, comme un ensemble fragmenté de détails lisibles du réel, à la manière d’un hologramme de transmission, dont tous les fragments contiennent la totalité de l’image.
On dirait que l’humanité est passée de l’autre côté de l’écran, dans une sorte d’irréalité, dans la lumière du miroir numérique, et que les icônes et hyperliens de nos écrans cathodiques nous ramènent à un monde aussi symbolique que les vitraux du Moyen-âge.

On nous offre aussi des médias enrichis, des réalités augmentées, qui acquièrent d’autant plus de densité ontologique qu’ils contiennent plus d’informations. Mais ce serait pourtant une erreur de croire qu’avec la société de l’information, qui est évidemment de ce fait même aussi la société de l’écran, nous avons complètement basculé dans le virtuel. Il serait très présomptueux et encore plus imprudent d’affirmer que le réel est une illusion. Sa résistance à nos désirs et son poids de souffrance humaine en attestent. Nous gardons des attaches avec le réalisme, ne serait-ce que par instinct de conservation, et par un enracinement écologique. Les écrans sont aussi des pièges à réalité. Ils la traquent, la braconnent et l’enflent, la zooment.

Les sociétés écraniques (2)


L’application qui nous propose de transformer notre iPhone en miroir, par exemple pour se maquiller, ne fait qu’activer la caméra intégrée, qui nous regarde et nous filme. L’écran est un miroir humain, social, politique. Le réel s’est dissout simultanément dans les écrans des laboratoires de physique et de biologie, qui n’affichent plus que des fichiers numériques du réel. Toute notre connaissance astrophysique actuelle, la plus pointue, la plus instrumentale, se réduit paradoxalement à de l’imagerie scientifique. Les perceptions tactiles ou à l’œil nu n’ont plus de valeur scientifique aujourd’hui. Toute notre connaissance est produite par des appareillages électroniques et des programmes algorithmiques.
- Le mythe de la surface. La réflexion impliquait jadis de la profondeur de pensée. La superficialité était une faute de l’esprit. On creusait la vérité, on explorait les arcanes de l’âme. La psychologie elle-même avait établi une topologie des profondeurs, et la psychanalyse freudienne retournait les pierres de nos traumatismes enfouis dans l’obscurité caverneuse de l’inconscient. C’est Lacan qui a fait remonter l’inconscient et la psychanalyse à la surface, comme un plongeur qui donne un coup de talon, réduisant cette épaisseur des couches de la psyché à la surface du langage et des jeux de miroir de la société. Surfant sur la toile de la communication, il s’est intéressé aux mass media, où l’esprit dérive comme un bouchon au gré des ondes. Perte de quille, perte de racines, perte de profondeur : pourquoi pas? Au risque de l’obscurantisme émotif.

Déréalisation et nomadisme vont de pair, mais cumulent leurs effets psychologiques, qui se traduisent en une déchirure dramatique de la conscience par rapport à ses repères antérieurs. Non seulement l’homme renonce à son unité profonde, intégratrice avec le monde, dont il jouissait dans les cosmogonies primitives, mais il perd aussi le sens du réel, de la gravité qui assurait son équilibre, et les racines où il puisait sa sève. Il passe d’une identité psychologique à une identité électronique. C’est cette même apesanteur fantasmatique et vertigineuse, qu’on retrouve dans les métaphores du cybermonde, et qui est une sorte de catastrophe ou de précipitation ontologique.

Les sociétés écraniques (1)




Notre image du monde a considérablement évolué depuis le paysagisme impressionniste. Et pour reprendre les critiques des situationnistes, on pourra souligner qu’avec le web, nous passons de la société du spectacle à l’étape suivante, plus extrême, la société écranique, qui ressemble même parfois à une caricature de la ville! On pourrait soutenir aisément que le monde n’est fait que d’écrans. Instruments de notre nouvelle puissance ubiquiste ou gadgets ubuesques d’un monde schopenhauerien comme jeu et comme représentation, les écrans de notre temps, dans toutes les variations de leurs colorations artificielles, de leurs fonctions interactives et de leurs déréalisations, nous aspirent dans les espaces numériques. Apparences qui nous cachent la réalité, ou rectangles cathodiques qui la modélisent, la projettent et lui donnent des significations symboliques nouvelles, les écrans déclinent toutes les métaphores de notre image du monde et nous donnent accès à un ailleurs virtuel. L’écran devient un média en soi, comme la radio ou le téléphone. On pourrait dire, à la manière de McLuhan : « l’écran, c’est le message ». J’ai proposé d’appeler « nouveau naturalisme » ce monde écranique qui nous cannibalise. On ne saurait sous-estimer la diversité de ces écrans.

- Le tout à l’écran. La philosophie kantienne nous invitait à relativiser notre connaissance, au niveau perceptif des phénomènes et des formes a priori de la sensibilité. La philosophie phénoménologique nous a appris depuis, en suivant la pensée de Husserl et de Merleau-Ponty, à relativiser encore plus notre rapport au monde, comme l’ont fait aussi les peintres cubistes. Avec eux, notre perception est devenue imaginaire, parce qu’intentionnelle, instrumentale, psychologique, culturelle, sociologique, etc. Nous ne sommes plus dans le dispositif simple d’un observateur qui examine un objet extérieur à lui, mais dans un jeu bidirectionnel, en constante mouvance, l’objet observé étant lié à l’observateur et réciproquement. Marcel Duchamp disait que c’est le regardeur qui fait le tableau. En d’autres termes, l’objet dépend de l’observateur.

2014-01-30

L'ensorcellement numérique


Avec le numérique nous nous libérons de beaucoup d’entraves du réel. Mais inversement, nous sommes pris dans l’entrelacs des hyperliens que nous tissons sur la toile et qui nous y retiennent jusqu’à la dépendance. Nos trois instincts fondamentaux, Éros, Thanatos et Prométhée y règnent à l’envie. Car ce sont les désirs de plaisir, de destruction et de puissance qui créent beaucoup de ces liens. Et la technologie numérique en augmente la charge émotionnelle. Ignorant, ou oubliant, que ce sont des algorithmes prosaïques qui les régissent, nous lui prêtons des forces irrationnelles. Voilà la magie du numérique. Comme toute magie, elle repose sur des techniques, des rituels, des tensions psychiques et des croyances.  Elle semble étonnamment puissante à ceux qui la découvrent. Mais pour les nouvelles générations, elle est déjà ordinaire. Et cette familiarité avec la souris et les consoles de manipulation tend à modifier d’autant plus leurs comportements de base. Le numérique, malgré son apparence technologique objective, se déploie paradoxalement dans le registre de la subjectivité, de l’affectivité, que renforce notre intimité avec l’écran cathodique. On observe d’ailleurs que bien des personnes confient au rectangle de lumière bleutée, dans le clavardage ou dans des courriels, des confidences ou des propos transgressifs qu’elles n’oseraient pas exprimer de vive voix à leurs interlocuteurs. Et nous tolérons dans notre boîte à lettres virtuelle bien des publicités et des images qui feraient scandale dans notre boîte à lettre de maison.


2014-01-26

La divergence numérique


Pour prendre vraiment conscience de la puissance radicale des divergences que nous créerons, nous devrions sans doute même parler des mutations du futur, dont nous n’avons pas encore la moindre idée. Pas encore pensables ? Mais possibles. Une immense divergence s’esquisse déjà sous nos yeux depuis deux mille ans au moins, dont nous n’avons pas encore saisi la nouveauté et encore moins l’importance. Je veux parler de la divergence éthique. La nature darwinienne est étrangère à toute exigence éthique. Elle est régie par la loi du plus fort, du mieux adapté. Pas de compassion pour les faibles, pas de sentiment de justice, pas de retenue face à la violence. C’est l’espèce humaine qui a inventé cette conscience éthique contre nature. Nous devons à cet égard beaucoup au christianisme. C’est assurément la religion qui a le plus contribué à la formulation de cette éthique au nom de l’amour du prochain et de la charité. Mais aujourd’hui dans une société athée, nous ne pratiquons plus cette éthique pour assurer notre salut personnel. Nous sommes à la deuxième étape du développement de cette conscience éthique : elle n’est plus seulement individuelle, elle est devenue sociale, collective, planétaire même. Elle repose sur le respect des droits humains élémentaires de tous également, quelles que soient les diversités des cultures. Elle nous incite à militer contre toutes les violences, les exploitations humaines, à secourir les victimes, à devenir pacifistes. Nous n’en sommes encore qu’aux premiers pas, mais nous sommes de plus en plus nombreux à en ressentir l’exigence.  Ne dit-on pas que certains ont la bosse des mathématiques, évoquant ainsi par métaphore une augmentation de leur volume cérébral traitant de pensée mathématiques? Il nous reste à espérer que ce qui vaut pour les mathématiques vaille aussi pour l’éthique. Une éthique planétaire : la plus immense, la plus nécessaire, mais aussi la plus difficile de toutes les divergences du futur pensables aujourd’hui.

La divergence n’est pas nécessairement un bien en soi. Nous en avons connu de bonnes et des mauvaises. Et ces jugements sont toujours relatifs. Ainsi, l’impressionnisme n’est pas un progrès par rapport au classicisme, mais un changement. 
Le passage de l’âge du feu à l’âge du numérique demeure ambivalent, en ce sens que le progrès qu’il nous fait espérer dépendra en réalité de l’usage humain que nous ferons de sa puissance. 
Seule la divergence éthique est un progrès incontestable, que personne ne peut raisonnablement nier. Les modalités d’application de l’éthique peuvent varier selon les diversités historiques et culturelles, mais le principe de l’éthique planétaire est un absolu, le seul absolu auquel les hommes peuvent prétendre. Le gouvernail et la quille de l’esquif « humanité ».

2014-01-24

Le numérique exotique


On n’arrête pas l’innovation. Elle cache un tigre rugissant dans son moteur. Pourtant, Jacques Païtra, un spécialiste du changement social, qui a été notamment président de l’Université populaire fondée par le philosophe français Michel Onfray, affirme qu’aujourd’hui, les études le révèlent, la baisse du désir de consommation le confirme, la production d’imaginaire semble en panne dans tous les secteurs de la société. La foi religieuse est en baisse, aucune idéologie politique ne passionne les foules, les grandes marques ont perdu leur pouvoir de fascination. (…) Seules, ajoute-t-il, les nouvelles technologies et certaines de leurs applications – comme le téléphone portable, le DVD - paraissent échapper à l’étouffement de l’imaginaire par le raisonnable, le mesurable, le quantifiable. Et en effet, dans le domaine du numérique, il est permis de parler de tous les excès et de beaucoup d’illusions. Nous savons déjà que le marché du papier et de l’encre électroniques, qui en font vibrer plusieurs, est plus qu’incertain. Celui du livre électronique a déjà fait couleur beaucoup d’encre rouge, jusqu’à ouvrir toutes grandes les vannes d’investissements financiers perdus d’avance face aux tablettes électroniques. Et que dire des autres inventions du siècle telles que l’écran d’ordinateur qu’on peut rouler comme une feuille de plastique, avec clavier pliable, des lunettes pour regarder la télévision sur la plage ou en faisant son jogging, des robots-pets, du parapluie qui annonce la pluie ou le soleil, des accessoires d’ordinateur et de voiture, et de ces millions de gadgets et d’applications dignes du confort le plus « mou », sans compter la gadgetterie de maison, pour la cuisine, pour le jardin, pour le sexe, pour le vin, pour la plage, pour le camping, pour le sport et pour le bureau, qui brille du style le plus décadent. Chaque designer entrepreneur cherche une niche extravagante de plus pour nous en mettre plein la vue et s’enrichir lors des ventes de fin d’année. Ostentation, luxe et volupté sont devenus numériques. Les nouveaux riches en raffolent.
Certes, le téléphone bracelet, la clé USB en stylo ou en pendentif d’oreille peuvent être des bijoux élégants, avec leur air « branché », mais que penser de l’écran d’ordinateur qu’on porte au cou « pour partager les images », ou du life phone de Marcelo Joulia, extraplat, qui s’ouvre comme un couteau suisse, ou des chaussures GPS ? Créer pour innover, telle est la devise aussi superbe que redondante du designer italien Stefano Marzano! On nous vante des utilités pour le citadin pressé, ou adepte de la nature ou des sports extrêmes! Et on fabrique des gadgets extrêmement fragiles, inutiles et coûteux. La domotique a multiplié les performances de la maison intelligente au service de notre paresse depuis l’époque de Jacques Tati. Avec une carte dorée de crédit, on peut s’offrir tout un éventail de plaisirs hyper-raffinés, qui annihilent toute idée d’effort physique ou cérébral. Ils sont en vente en ligne et même hors taxe dans les pochettes des sièges d’avion.
Déjà Salvador Dali avait créé des montres molles. Et j’ai vu la machine à coudre et à toaster. Bravo pour le surréalisme et sa charge d’inconscient! Mais dans l’industrie, il ne serait pas inutile de confronter les imaginaires numériques aux usages sociaux. À moins d’avoir temps et argent à perdre. Et il semble que ce soit le cas de beaucoup d’innovateurs créateurs qui sont déjà rendus à l’ère du post-virtuel exotique et somptuaire. Le décadent virtuel? Il ne manque plus que le web parfumé. Mais si, cela existe déjà!

Non, vraiment, notre époque ne manque pas d’imagination pour se donner les signes apparents de son bonheur total et achevé. Et ce qu’elle ne peut obtenir ici-bas, elle y accède dans le monde virtuel, où l’on peut satisfaire tous ses désirs : la richesse, la beauté, une vie sociale prestigieuse, un changement d’identité, d’âge ou de sexe, se créer un avatar, s’adonner à la débauche sexuelle, à la violence, aux hallucinations, aux explorations oniriques ou à la magie dans des décors synthétiques somptueusement décorés. Et même harceler des personnes du monde réel, comme dans les rites primitifs de poupées qu’on perce d’épingles. Une permissivité totale, sans effort ni sanction. Mieux que les Romains du Bas-Empire. Le plaisir sans la chute. 

2014-01-23

Le numérique, comme utopie néo-positiviste



L’utopie est l’écho du futur qu’on imagine/désire, volontariste, ingénu, erratique, ou erroné, selon les cas. Lorsque nous en appelons à l’utopie du progrès, c’est d’éthique et non de technologie que nous parlons. Car notre avenir dépendra beaucoup plus de l’augmentation de notre conscience que de celle de notre puissance instrumentale. Or, à y bien penser, on se rend compte que les croyants du numérique – oui, cette religion fait parfois penser à une puissante secte émergente, qui compte ses prophètes, ses prosélytes et ses intégristes - voient l’avenir comme l’accomplissement du règne de l’intelligence hybride numérique/humaine qui permettra, selon eux, non seulement de vivre dans un monde entièrement intelligent, mais aussi d’en comprendre et maîtriser totalement l’interprétation et l’instrumentation. N’est-ce pas l’accomplissement du positivisme dont ont rêvé explicitement Auguste Comte et implicitement beaucoup de scientistes de laboratoires, notamment américains, mais aussi de fidèles de l’Eglise de scientologie ? Le numérique a pris le relais des utopies politiques du XIXe siècle. L'utopie technoscientifique nous promet à son tour des lendemains qui chantent. Espérons que cette nouvelle promesse finira mieux que les précédentes.
Et les prophètes du posthumanisme nous disent que ce sont les ordinateurs qui prendront notre relève, avec plus d’intelligence, plus d’équité, autant de sensibilité et moins d’erreurs. Certes, l’homme n’aura plus sa place dans cet univers soumis à une intelligence artificielle non plus collective, mais dictatoriale. Ce sont des logiciels sociaux qui nous géreront sans faille. Il est vrai que l’homme est souvent pervers, tandis que la machine, même cybernétique, n’a pas de défaut psychologique ou moral.
En attendant cet accomplissement de la perfection socio-numérique, la religion de l'humanité fantasmée par un Auguste Comte n'est rien en comparaison des rêves sociaux libérateurs de nos nouveaux gourous du numérique. Ils nous annoncent que nous allons tout gérer et contrôler, nous cloner, améliorer considérablement notre santé, notre longévité, notre bonheur, notre beauté, notre intelligence, notre mémoire. Ils nous prédisent que le numérique résorbera les inégalités économiques, effacera les conflits de territoires et de cultures, assurera l'éducation de tous les citoyens et le développement de tous les continents. Car, disent-ils, les ordinateurs apprendront à apprendre.  Ils nous promettent que le numérique instituera une démocratie planétaire, le progrès social, l'égalité, la fraternité (Facebook nous permet d'avoir tellement d'amis!). Enfin, nous accéderons à une société planétaire intelligente et heureuse. Le magazine américain Wired, bible de ce cyber-imaginaire, a fait palpiter l'âme de toute une génération libertaire et lyrique d'internautes. On trouve dans l’imaginaire numérique tous les rêves, les peurs et les désirs des hommes du monde réel – tous les mythes archaïques.

La Raison a été discréditée par les barbaries de notre histoire moderne et le questionnement croissant de la science elle-même. La postmodernité a cru lui régler son compte. Et ce que la Raison des rationalistes positivistes du XIXe siècle n’a pas su atteindre, l’intelligence artificielle des ordinateurs du XXIe l’accomplirait ? Pour le bonheur de l’humanité ? C’est ce que croient les ingénieurs ingénus du numérique dans leurs laboratoires de robotique neurologique, de simulation cognitive et d’intelligence artificielle posthumaniste.

2014-01-19

la divergence numérique


C’est la loi de la divergence  qui domine l’évolution à l’opposé  de la loi linéaire de l’adaptation darwinienne. Cela est vrai dans la nature comme pour l'espèce humaine. L'émergence et la rapide planétarisation du numérique constituent un exemple spectaculaire de divergence radicale. 

2014-01-18

Nous sommes tous tagués




Nous avons tous des cookies dans nos disques durs, qui permettent non seulement d'afficher rapidement les sites web que nous voulons consulter, mais qui installent aussi des robots espions dans notre propre maison et informent leurs répondants de nos activités. 
Nous sommes ainsi tagués - c'est-à-dire indexés - par Google et autres moteurs de recherche, qui nous géolocalisent et qui prétendent nous faciliter la vie et les communications, en construisant notre « profil » à partir des archives constamment actualisées de nos navigations et donc de nos centres d'intérêts. A cela s’ajoutent nos déplacements, qu’enregistre notre téléphone intelligent, nos achats, qu’inscrivent nos cartes de crédit, et bientôt les lunettes Google +, qui garderont la mémoire de ce tout que nous voyons. Et que le Diable protège ma vie privée du marketing Facebook ! C'est ainsi que nous alimentons nous-mêmes sans trop y penser des banques de données personnelles, voire intimes sur nos habitudes de consommation, nous goûts et nos comportements. Et lorsque nous utilisons les services de courriel de Microsoft, Google, Apple, etc., ce sont nos propres courriels qui sont tagués et indexés. Nous nous félicitons alors que les moteurs de recherche les retrouvent, à notre demande, en un dixième de seconde. Google nous offre même de jouer au moteur de recherche sur notre propre disque dur.  On appelle cela désormais « la transparence » et on la vante !
Et pour mieux nous servir, Google nous a annoncé que désormais la compagnie simplifiait la multiplicité de ses politiques de confidentialité liées chacune à une utilisation spécifique de ses fonctionnalités : nos  navigations avec Chrome, nos recherches sur YouTube, nos courriels sur Gmail, nos blogues, nos données sur Google+, le calendrier-agenda Google, Google Maps, Google View, etc. sont rassemblés tous dans un seul et même cadre réglementaire de gestion et de respect affiché de notre vie privée, sans en changer les termes. Une simplification normale et bienvenue ? Oui, mais aussi désormais la réunion pour chacun de nous de toutes nos données colligées dans un seul et même profil individuel. Google nous le présente comme un grand avantage pour chaque usager. Ainsi, peut-être pourrons-nous vous signaler que vous risquez d’être en retard à un rendez-vous, en tenant compte de votre localisation, de votre agenda et des conditions de circulation, nous annoncent triomphalement les responsables de Google, qui font ainsi l’aveu de leur pouvoir de centralisation d’informations personnelles.
Face à ces belles intentions le Consumer Watchdog, l’association américaine de défense des consommateurs rétorque vigoureusement : Appeler ça une politique de confidentialité, c’est du double langage (…) Google ne vous dit pas qu’il va protéger votre intimité. Il vous explique comment il va rassembler des informations sur vous à partir de tous ses services, combiner tout cela et utiliser ce gros dossier numérique pour vendre plus de publicité. (Il faut rappeler ici que Google est devenue la plus grosse compagnie de publicité au monde, et qu’elle contrôle déjà 40% du marché mondial). Bien sûr, ce ne sont que des robots qui font le travail, anonymement; et si nous en sommes conscients, voire préoccupés, nous pouvons désactiver ces fonctionnalités en cherchant dans les menus. Mais nous oublions de le faire. Lorsque nous effaçons nos cookies et notre historique de navigation, nous ne savons pas si les moteurs de recherche le font aussi. Et nous recommençons le jour même à accumuler les données et à reconstituer nos profils.
Faudra-t-il disperser nos outils, utiliser le moteur de recherche de Google, le serveur de courriels de Apple et le Skype de Microsoft pour empêcher que se constitue un dossier ou profil centralisé sur chacun de nous ? Nous avons un sentiment d’impuissance. Certains se résignent à cette transparence qui semble inévitable et finalement peu dangereuse. Mais nous savons que les effets peuvent en devenir pervers si ces banques de données passent entre de mauvaises mains, celles de dictateurs, de criminels, de prédateurs, ou simplement de commerçants avides de marketing ciblé.  Tous les jours nous apprenons que des hackers ont réussi à s’accaparer des bases de données dans des services publics, des compagnies de cartes de crédits, des banques, avec des milliers de données personnelles sensibles. Bien sûr, nous comptons sur l’État pour nous protéger. Mais il est encore sous-équipé pour nous soustraire à ces harcèlements, vols d'identité, violations de notre vie privée et fraudes en tout genre qui nous guettent sans cesse. Et ce n’est pas sa priorité, car la police use aussi de ces techniques, supposément dans de bonnes intentions.

La STASI n'existe plus. Mais la démocratie est encore rare sur notre planète. Et il existe encore des centaines de petites stasi, que les outils numériques rendent invisiblement très efficaces. Lorsqu'on rêve de démocraties numériques, on devrait aussi cauchemarder en pensant à la généralisation insidieuse de ces petits robots numériques qui sont essentiels à tous les moteurs de recherche, et qui prétendent être au service des netcitoyens. Quand les États vont-ils prendre conscience de leurs devoirs de protection de la vie privée en régime de démocratie et contraindre les multinationales à respecter une législation de base plus sécuritaire ? Les écoutes téléphoniques et l’ouverture du courrier sont interdites sans l’autorisation spécifique et justifiée d’un juge. Cette loi ne vaut-elle pas pour nos courriels, nos textos, notre agenda et notre carnet d’adresses électroniques ? L’internet est aujourd’hui encore plus répandu que les services de poste. Il y a là manifestement un grave problème de démocratie face auquel nous sommes démunis et trop insouciants. Et lorsqu’on voit apparaître des réglementations sévères pour sanctionner les compagnies de serveurs qui ne dénoncent pas les clients qui chargent illégalement des fichiers de musique, de cinéma ou des logiciels, force est de constater que les États favorisent nettement les intérêts commerciaux des multinationales au détriment du droit fondamental au respect de la vie privée des simples citoyens. Et puisqu’il est fondamental de respecter la propriété intellectuelle, le problème n’est pas simple. Les robots numériques sont comme les bactéries : nécessaires à la vie numérique, mais susceptibles aussi de devenir toxiques et de déclencher de graves pathologies, des infections fatales pour l’individu mais aussi pour une société dont le système immunitaire est déficient. L’américain Edward Snowdon, employé de la National Security Agency américaine, qui a dénoncé en 2013 à ses risques et périls les agissements de la NSA ; démontrant qu’elle espionne toutes les communications des citoyens dans tous les pays, y compris celles de ses dirigeants, présidents, chefs d’Etat, gouvernements, assemblées parlemantaires, voire celles du président des Etats-Unis lui-même, nous apparaît comme un héros. Car il fallait un grand courage pour révéler la généralisation de ces excès extrêmes, incompatibles avec le respect des personnes, et les exigences éthiques des démocraties que nous prétendons construire.   

2014-01-16

La douceur maternelle interactive du web





L’illusion qui nous berce aujourd’hui tient à la sensation de chaleur conviviale et affective que nous procure le web, tel un liquide  nourricier, doux et tiède, où nous évoluons sans effort. C’est à se demander si la couleur de la prochaine génération de nos écrans cathodiques ne va pas virer du bleu azuré au rose chair. A la tendresse. Nous y retrouvons des « amis », nous y attirons des « abonnés », les membres de Facebook passent leur temps à cliquer obsessionnellement l like comme autant de caresses pour se faire aimer. Nous nous y confions, photographies de notre vie privée à l’appui. Les adolescents aiment cette intimité numérique. L’interactivité crée la chaleur des échanges humains et du frottement des messages. Les utilisateurs, qui étaient au début des receveurs passifs, sont devenus proactifs ; ils y investissent de la créativité, donc de l’énergie. La métaphore thermique célébrée par McLuhan pour caractériser les médias électriques persiste dans l’humanité du numérique. La grande célébration de l’interactivité à laquelle nous assistons de nos jours, l’emphase mise sur le web 2.0 et sur l’idée de l’utilisateur-producteur de messages correspondent manifestement à des utilités, mais aussi à une survalorisation imaginaire de la chimie virale des échanges. Nous sommes transportés par une nouvelle sensibilité, celle du contact tactile numérique, de l’expérience virtuelle ou virtuexpérience : le biovirtuel vécu comme une intensité de l’esprit et de la peau – la peau électronique que décrit Derrick de Kerckhove. L’interactivité crée de l’émotion, des sentiments, de la fébrilité qui excitent les utilisateurs, rapprochent les amis, fidélisent les abonnés.
Il ne faut pas chercher ailleurs le succès de Facebook, qui est avant tout psychique, presque biologique. Nous sommes rendus à une pratique sociale où l’important n’est pas d’avoir quelque chose à dire, mais de communiquer – d’avoir l’illusion de communiquer, d’être en contact, de coller. Là encore, McLuhan semble avoir été malheureusement trop perspicace.

La puissance imaginaire du numérique tient au mythe de l’abondance communicationnelle, de la fluidité des liens et de l’échange fusionnel qu’il exploite. Cette technologie, qui est capable de réactiver, voir de bouleverser intimement nos vies, est décidément sentimentale. Les liens interindividuels que nous développons si facilement grâce à l’internet nous offrent l’euphorie d’un échange ombilical de fluides; ils nous rassurent en nous reconnectant au corps maternel de la société. Nous pouvons désormais clavarder en temps réel à distance, nous croire en téléprésence, ou nous rencontrer à travers nos avatars dans un espace collaboratif de jeu ou de vie artificielle tel que Second Life, et nous activer sur des plateformes numériques de socialisation comme Facebook, Google + et tant d’autres plus explicites de rencontre, d’échanges intimes, voyeuristes et sexuels. Sommes-nous dans la vie réelle en manque de cette Seconde Vie que nous offrent les jeux multiusagers de rôles et de compensations ? Il semble bien que oui. Ces nouvelles possibilités interpellent évidemment les philosophes, les psychologues, les psychanalystes, les sociologues et les phénoménologues : toutes les sciences humaines. Et plus que tous, les artistes, qui créent ces espaces virtuels, leur donnent forme et les animent. Dans tous les cas, nous voilà dans ce qu’il faut bien appeler le web amniotique, ou dans cet utérus numérique qu’on a appelé La matrice et qui a donné son nom à la célèbre production cinématographique et de jeux vidéo des frères Andy et Larry Wachowski (1999-2003).

2014-01-13

De l'intelligence dite "collective"




Si, parodiant Blaise Pascal, j'écris que l'homme est un réseau pensant, je passe d'une cosmogonie religieuse et individualiste à une cosmogonie technologique où l'homme se situe au carrefour des réseaux numériques dont il reçoit les informations qui le déterminent, mais aussi où il est producteur et synthétiseur d'idées. L'homme perd de son unicité psychologique et spirituelle, mais enrichit sa conscience d'innombrables informations qui l'irriguent, comme une sève numérique. « Je est un autre », disait Rimbaud et cela devient plus réel dans la cosmogonie actuelle, qui substitue au mythe de la profondeur (de l'inconscient) celui de la surface (médiatique), et à celui du monothéisme (centré), celui des réseaux sociaux (l’indivision afocale). Dans l’évolution de la peinture, cela s’est traduit par l’abandon de la construction de l’espace pictural en perspective, avec un point de fuite unique (Renaissance) et l’adoption de la composition sans profondeur en arabesque configuratrice (Matisse).

Cette cosmogonie est de racine grecque, polythéiste et prométhéenne. Elle l'emporte donc aujourd'hui sur la cosmogonie biblique. Et l'homme lui-même change beaucoup aussi. De victime de Dieu (chassé du Paradis terrestre), donc déchu et soumis, il devient le vainqueur de Dieu, libre créateur de son propre univers grâce à la nouvelle puissance - humaine et non plus divine -, qu'il tire de la science et de la technologie. L'homme qui se voit comme un réseau pensant, comme un hypertexte vivant, traite les informations qu'il capte et les transforme en idées créatrices. L'hypertexte humain devient planétairement interactif.  Et c’est en abusant de cette idée que plusieurs ont lancé le concept d’ « intelligence collective », suite aux réflexions de Douglas Engelbart, l’inventeur de la souris, dans Augmenting Human Intellect: A Conceptual Framework. Il me semble qu’il est plus pertinent de parler seulement d’« intelligence connective » ou d’« intelligence partagée » pour désigner cette possibilité d’une intelligence individuelle mieux informée et donc plus productrice, plus performante, grâce à un accès aux connaissances démultiplié par les liens numériques. Donner à l’intelligence plus de ressources pour s’exercer, ce n’est pas augmenter le QI – le coefficient intellectuel d’une prétendue intelligence humaine diffuse comme une aura autour du globe terrestre, car nous ne sommes pas de ceux qui invoquent ingénument une noosphère ou un cortex planétaire virtuel, qui envelopperait la Terre comme une couche supplémentaire d’atmosphère. Cette aura n’existe pas. Il serait plus intelligent de parler d’ « intelligence 2.0 », ou même 3.0 si l’on veut être emphatique, car c’est le jeu des liens et des échanges interactifs qui favorise l’exercice de l’intelligence individuelle. Il ne faut pas hypostasier ces liens et inventer une intelligence fusionnelle planétaire, même et surtout lorsqu’on veut donner de la crédibilité à la loi de la divergence. Il n’est pas nécessaire pour être démonstratif de fantasmer théoriquement, comme il arrive si fréquemment de nos jours aux enthousiastes du numériques. Cette ingénuité collective bien réelle nuit même au concept d’intelligence collective dont on prétend  démontrer l’existence. 

2014-01-12

Empowerment ou l' "homme augmenté"




Il est réaliste et pertinent de parler de l’« homme augmenté », cette expression qui me semble bien traduire le néologisme anglais d’empowerment, qui fait écho certes à notre instinct de puissance (CyberProméthée), mais souligne une innovation radicale dans notre histoire tout à la fois technologique et anthropologique, celle del’apparition de l’électronique (les transistors) et de l’informatique (la programmation) dans la conception des outils, qui ne travaillent plus en fonction de l’énergie, mais de l’information. En fait, l’empowerment existe depuis toujours et s’incarne dans le mythe de Prométhée. L’homo faber en poursuit l’ambition pendant des millénaires. Il invente le silex, la roue et toutes les exploitations successives de l’énergie à l’âge du feu. L’émergence de la cybernétique et de ce qu’on appelle aujourd’hui la machine intelligente a créé la divergence numérique dans l’évolution de la technologie. On est passé de la machine-outil (fut-elle dotée d’un servomoteur, qui relève encore de l’utilisation de l’énergie mécanique) à l’ordinateur et à toutes ses applications dans la technologie. Les médias électriques sont devenus numériques : ainsi le téléphone est-il devenu « intelligent » lorsqu’on a remplacé son dispositif de vibration magnétique par un ordinateur miniaturisé. Et c’est une facilité de l’appeler encore un téléphone, alors qu’il nous offre cette fonctionnalité parmi tant d’autres : photo, vidéo, courriels, agenda, écriture, calculatrice, navigation sur l’internet, géolocalisation, etc. Il a remplacé le silex préhistorique, il tient lui aussi dans la main, il est tout aussi mobile, mais il est beaucoup plus puissant, car il est devenu « intelligent ». L’homme numérique est toujours et demeurera de chair et d’os.  Mais il dispose de plus en plus de prolongements numériques de son corps, de plus en plus d’objets communicants, qui décuple ses capacités physiques (exosquelettes), celles de ses sens tactile et visuel, et augmente sa longévité, sa santé, sa mémoire, son accès aux connaissances, son pouvoir d’analyse, de contrôle, de gestion, instrumental et de création, ses moyens de communication professionnels et privés. Puissance, bonheur et plaisir sont supposés augmenter de même. Et mieux encore : sa « conscience augmentée », grâce à tous les liens qui lui donnent en temps réel une information mondiale, les événements, les scandales, la condition des autres humains, pourra peu à peu générer une éthique planétaire.  


progresar como sociedad

14/10/2013 | Entrevista Semanal en La Voz de San Justo, Argentina

“El desafío es aprovechar el progreso tecnológico para progresar como sociedad”


Fischer dijo que el zapping es un acto de libertad para el telespectador


El reconocido filósofo, escritor, profesor de sociología de la cultura y de la comunicación, pintor, artista multifacético, el franco canadiense Hervé Fischer, visitó nuestra ciudad y dialogó con LA VOZ DE SAN JUSTO. 
A los 72 años, se convirtió en una de las voces más calificadas en cuestiones de la sociedad de información, alfabetización digital, entre otros temas.

También en sus investigaciones abordó los multimedios y la televisión. Sobre ésta última, Fischer plantea que la actitud del zapping por parte del telespectador resulta un “acto liberalizador”, pues comprende el hecho de poder elegir qué canal o qué programa ver. 
El escritor agregó que elegir un canal u otro, resulta una suerte de ilusión para el telespectador. “Es una ilusión y una utopía, la posibilidad de pertenecer y hacer desde el lugar de la elección, sabiendo que él también construye la noticia o lo que dictan los medios”, comentó.

Etapa self-media

Fischer reconoció que en la actualidad asistimos a una etapa self - media, que supera a la anterior, la de los medios de comunicación de masa. Sobre la etapa actual, el intelectual explicó que a pesar de que aún hay una brecha digital, ésta se va disminuyendo poco a poco y lo atribuyó a la posibilidad de la interactividad. “La brecha está disminuyendo poco a poco porque los seres humanos están consumados de información y contenido web 2.0. Es posible ver en las cadenas de televisión los videos vivenciales de hecho, el aquí y ahora del suceso a través de la grabación de una persona que estuvo en el lugar del hecho”, señaló Fischer. “Hay una necesidad de contar y decir lo que pasa, de hacer noticia”.

Cultura digital “líquida”

Según Fischer, en la cultura de lo virtual, todo es “líquido” y el contenido se desvanece de inmediato. “Para el profesor de literatura inglesa, crítica literaria y teoría de la comunicación, Marshall McLuhan, el aforismo `el medio es el mensaje´, resultaba fuerte en los’60. Hoy sabemos que esa idea es impensada. Si seguimos pensando así, perderemos la densidad del contenido, porque lo que importa hoy es el vínculo, lo que provoca la capacidad de pensamiento crítico”, dijo Fischer.
Aunque admite que la tecnología restó vínculos, afirma que alimenta las relaciones. “Hay diferencias intergeneracionales que pueden no entenderse, por ejemplo, la relación de los hijos con sus amigos por Facebook, pero al mismo tiempo pueden hacerse comunicaciones a distancia, permitiendo el acercamiento de la familia vía Skype”, aclaró Fischer. 

Los jóvenes y la necesidad de “pertenecer”

Para Fischer, los jóvenes, usuarios más frecuentes de las redes sociales, buscan una suerte de afecto que no encuentran en el mundo no virtual. “Estamos ante una sociedad de masa y los jóvenes muchas veces faltan a la integración de su familia por cuestiones de espacio y tiempo, es decir, por estudios o por vivir su vida de manera diferente. Los jóvenes están faltos de amor y ellos encuentran eso en las redes sociales y en los dispositivos electrónicos”, señaló el intelectual. 
“Además, -remarcó Fischer-, necesitan del vínculo virtual para tener existencia social”.
Contar herramientas como celulares, tablets y otras en demasía, “maduran” al joven y logran posicionarlo en un status en la sociedad que le permite permanecer y diferenciarse a la vez de su grupo social. 

“Perder el idioma, es perder la identidad”

A pesar de que el idioma chino mandarín y español están al mismo nivel ,según Fischer, la lengua más importante sigue siendo la española a pesar de las diferencias económicas.
Fisher aseguró: “A pesar de que Internet se desarrolló con el idioma anglosajón, vivimos en constante evolución. El español supera ampliamente en las páginas webs a nivel mundial y muy por detrás quedan idiomas como el francés y el alemán, demostrando la poca intención de pertenecer al mundo virtual que tienen”, confesó Fischer.
“La pérdida del idioma, -siguió Fischer-, es perder la identidad. Los países deben procurar cuidar sus idiomas que son los que hacen a la identidad de los pueblos”.

“El papel nunca desaparecerá”

El formato digital de las publicaciones, los afamados I books, ganan cada vez más espacio, sin embrago no lograron derribar a los soportes convencionales. “Los libros digitales tratan de hacer copias fieles de los libros en papel, pues cada día lo imitan mejor, desde el sonido de la movilidad de las hojas hasta se han creado ‘perfumes’ que imitan a la tinta, sin embargo, estas producciones no son más que parte de la cultura digital líquida en la que nada queda. Si bien internet es la virtud del acceso, tiene el defecto de la desmemoria. Todo se olvida”, manifestó el escritor.
En cambio, “el papel produce diferentes sensaciones en el lector y da la posibilidad de perpetuar la información, el contenido, a modo de archivo. La sociedad no cambia a la velocidad de la tecnología. Los hombres prefieren el diario en papel, su flexibilidad y poder sostenerlo en sus manos”, acotó Fischer.
“El futuro depende de lo digital porque es claro que la tecnología progresará. Lo importante será saber cómo utilizarla. Nuestro futuro depende de nuestra conciencia. Se debe trabajar por el progreso de la conciencia humana. El desafío es aprovechar el progreso tecnológico para progresar como sociedad”, concluyó el entrevistado.