
Nous
avons tous des cookies dans nos disques durs, qui permettent non seulement
d'afficher rapidement les sites web que nous voulons consulter, mais qui
installent aussi des robots espions dans notre propre maison et informent leurs
répondants de nos activités.
Nous sommes ainsi tagués - c'est-à-dire indexés
- par Google et autres moteurs de recherche, qui nous géolocalisent et qui
prétendent nous faciliter la vie et les communications, en construisant notre
« profil » à partir des archives constamment actualisées de nos
navigations et donc de nos centres d'intérêts. A cela s’ajoutent nos
déplacements, qu’enregistre notre téléphone intelligent, nos achats, qu’inscrivent
nos cartes de crédit, et bientôt les lunettes Google +, qui garderont la
mémoire de ce tout que nous voyons. Et que le Diable protège ma vie privée du
marketing Facebook ! C'est ainsi que nous alimentons nous-mêmes sans trop
y penser des banques de données personnelles, voire intimes sur nos habitudes
de consommation, nous goûts et nos comportements. Et lorsque nous utilisons les
services de courriel de Microsoft, Google, Apple, etc., ce sont nos propres
courriels qui sont tagués et indexés. Nous nous félicitons alors que les
moteurs de recherche les retrouvent, à notre demande, en un dixième de seconde.
Google nous offre même de jouer au moteur de recherche sur notre propre disque
dur. On appelle cela désormais « la
transparence » et on la vante !
Et
pour mieux nous servir, Google nous a annoncé
que désormais la compagnie simplifiait la multiplicité de ses politiques de
confidentialité liées chacune à une utilisation spécifique de ses
fonctionnalités : nos navigations
avec Chrome, nos recherches sur YouTube, nos courriels sur Gmail, nos blogues, nos
données sur Google+, le calendrier-agenda Google, Google Maps, Google View,
etc. sont rassemblés tous dans un seul et même cadre réglementaire de gestion
et de respect affiché de notre vie privée, sans en changer les termes. Une
simplification normale et bienvenue ? Oui, mais aussi désormais la réunion
pour chacun de nous de toutes nos données colligées dans un seul et même profil
individuel. Google nous le présente comme un grand avantage pour chaque usager.
Ainsi, peut-être pourrons-nous vous
signaler que vous risquez d’être en retard à un rendez-vous, en tenant compte
de votre localisation, de votre agenda et des conditions de circulation,
nous annoncent triomphalement les responsables de Google, qui font ainsi l’aveu
de leur pouvoir de centralisation d’informations personnelles.
Face
à ces belles intentions le Consumer
Watchdog, l’association américaine de défense des consommateurs rétorque
vigoureusement : Appeler ça une
politique de confidentialité, c’est du double langage (…) Google ne vous dit
pas qu’il va protéger votre intimité. Il vous explique comment il va rassembler
des informations sur vous à partir de tous ses services, combiner tout cela et
utiliser ce gros dossier numérique pour vendre plus de publicité. (Il faut
rappeler ici que Google est devenue la plus grosse compagnie de publicité au
monde, et qu’elle contrôle déjà 40% du marché mondial). Bien sûr, ce ne sont
que des robots qui font le travail, anonymement; et si nous en sommes
conscients, voire préoccupés, nous pouvons désactiver ces fonctionnalités en
cherchant dans les menus. Mais nous oublions de le faire. Lorsque nous effaçons
nos cookies et notre historique de navigation, nous ne savons pas si les
moteurs de recherche le font aussi. Et nous recommençons le jour même à
accumuler les données et à reconstituer nos profils.
Faudra-t-il
disperser nos outils, utiliser le moteur de recherche de Google, le serveur de
courriels de Apple et le Skype de Microsoft pour empêcher que se constitue un
dossier ou profil centralisé sur chacun de nous ? Nous avons un sentiment
d’impuissance. Certains se résignent à cette transparence qui semble inévitable
et finalement peu dangereuse. Mais nous savons que les effets peuvent en
devenir pervers si ces banques de données passent entre de mauvaises mains,
celles de dictateurs, de criminels, de prédateurs, ou simplement de commerçants
avides de marketing ciblé. Tous les
jours nous apprenons que des hackers ont réussi à s’accaparer des bases de
données dans des services publics, des compagnies de cartes de crédits, des
banques, avec des milliers de données personnelles sensibles. Bien sûr, nous
comptons sur l’État pour nous protéger. Mais il est encore sous-équipé pour
nous soustraire à ces harcèlements, vols d'identité, violations de notre vie
privée et fraudes en tout genre qui nous guettent sans cesse. Et ce n’est pas
sa priorité, car la police use aussi de ces techniques, supposément dans de
bonnes intentions.
La
STASI n'existe plus. Mais la démocratie est encore rare sur notre planète. Et
il existe encore des centaines de petites stasi,
que les outils numériques rendent invisiblement très efficaces. Lorsqu'on rêve de démocraties
numériques, on devrait aussi cauchemarder en pensant à la généralisation
insidieuse de ces petits robots numériques qui sont essentiels à tous les
moteurs de recherche, et qui prétendent être au service des netcitoyens. Quand
les États vont-ils prendre conscience de leurs devoirs de protection de la vie
privée en régime de démocratie et contraindre les multinationales à respecter
une législation de base plus sécuritaire ? Les écoutes téléphoniques et
l’ouverture du courrier sont interdites sans l’autorisation spécifique et
justifiée d’un juge. Cette loi ne vaut-elle pas pour nos courriels, nos textos,
notre agenda et notre carnet d’adresses électroniques ? L’internet est
aujourd’hui encore plus répandu que les services de poste. Il y a là
manifestement un grave problème de démocratie face auquel nous sommes démunis
et trop insouciants. Et lorsqu’on voit apparaître des réglementations sévères
pour sanctionner les compagnies de serveurs qui ne dénoncent pas les clients
qui chargent illégalement des fichiers de musique, de cinéma ou des logiciels,
force est de constater que les États favorisent nettement les intérêts
commerciaux des multinationales au détriment du droit fondamental au respect de
la vie privée des simples citoyens. Et puisqu’il est fondamental de respecter
la propriété intellectuelle, le problème n’est pas simple. Les robots
numériques sont comme les bactéries : nécessaires à la vie numérique, mais
susceptibles aussi de devenir toxiques et de déclencher de graves pathologies, des
infections fatales pour l’individu mais aussi pour une société dont le système
immunitaire est déficient. L’américain Edward Snowdon, employé de la National
Security Agency américaine, qui a dénoncé en 2013 à ses risques et périls les
agissements de la NSA ; démontrant qu’elle espionne toutes les
communications des citoyens dans tous les pays, y compris celles de ses
dirigeants, présidents, chefs d’Etat, gouvernements, assemblées parlemantaires,
voire celles du président des Etats-Unis lui-même, nous apparaît comme un
héros. Car il fallait un grand courage pour révéler la généralisation de ces
excès extrêmes, incompatibles avec le respect des personnes, et les exigences
éthiques des démocraties que nous prétendons construire.