On n’arrête pas l’innovation. Elle cache un tigre rugissant
dans son moteur. Pourtant, Jacques Païtra, un spécialiste du changement social,
qui a été notamment président de l’Université populaire fondée par le
philosophe français Michel Onfray, affirme qu’aujourd’hui, les études le
révèlent, la baisse du désir de consommation le confirme, la production
d’imaginaire semble en panne dans tous les secteurs de la société. La foi
religieuse est en baisse, aucune idéologie politique ne passionne les foules,
les grandes marques ont perdu leur pouvoir de fascination. (…) Seules, ajoute-t-il, les nouvelles technologies
et certaines de leurs applications – comme le téléphone portable, le DVD - paraissent échapper à l’étouffement de
l’imaginaire par le raisonnable, le mesurable, le quantifiable. Et
en effet, dans le domaine du numérique, il est permis de parler de tous les
excès et de beaucoup d’illusions. Nous savons déjà que le marché du papier et
de l’encre électroniques, qui en font vibrer plusieurs, est plus qu’incertain.
Celui du livre électronique a déjà fait couleur beaucoup d’encre rouge, jusqu’à
ouvrir toutes grandes les vannes d’investissements financiers perdus d’avance face
aux tablettes électroniques. Et que dire des autres inventions du siècle telles
que l’écran d’ordinateur qu’on peut rouler comme une feuille de plastique, avec
clavier pliable, des lunettes pour regarder la télévision sur la plage ou en
faisant son jogging, des robots-pets, du parapluie qui annonce la pluie ou le soleil,
des accessoires d’ordinateur et de voiture, et de ces millions de gadgets et
d’applications dignes du confort le plus « mou », sans compter la
gadgetterie de maison, pour la cuisine, pour le jardin, pour le sexe, pour le
vin, pour la plage, pour le camping, pour le sport et pour le bureau, qui
brille du style le plus décadent. Chaque designer entrepreneur cherche une
niche extravagante de plus pour nous en mettre plein la vue et s’enrichir lors
des ventes de fin d’année. Ostentation, luxe et volupté sont devenus
numériques. Les nouveaux riches en raffolent.
Certes, le téléphone bracelet, la clé USB en stylo ou en pendentif d’oreille peuvent être
des bijoux élégants, avec leur air « branché », mais que penser de
l’écran d’ordinateur qu’on porte au cou « pour partager les images », ou du life
phone de Marcelo Joulia, extraplat, qui s’ouvre comme un couteau suisse, ou
des chaussures GPS ? Créer
pour innover, telle est la devise aussi superbe que redondante du designer
italien Stefano Marzano! On nous vante des utilités pour le citadin pressé, ou
adepte de la nature ou des sports extrêmes! Et on fabrique des gadgets
extrêmement fragiles, inutiles et coûteux. La domotique a multiplié les
performances de la maison intelligente au
service de notre paresse depuis l’époque de Jacques Tati. Avec une carte dorée
de crédit, on peut s’offrir tout un éventail de plaisirs hyper-raffinés, qui
annihilent toute idée d’effort physique ou cérébral. Ils sont en vente en ligne
et même hors taxe dans les pochettes des sièges d’avion.
Déjà Salvador Dali avait créé des montres molles. Et j’ai
vu la machine à coudre et à toaster. Bravo pour le surréalisme et sa charge
d’inconscient! Mais dans l’industrie, il ne serait pas inutile de confronter
les imaginaires numériques aux usages sociaux. À moins d’avoir temps et argent
à perdre. Et il semble que ce soit le cas de beaucoup d’innovateurs créateurs
qui sont déjà rendus à l’ère du post-virtuel exotique et somptuaire. Le
décadent virtuel? Il ne manque plus que le web parfumé. Mais si, cela existe
déjà!
Non, vraiment, notre époque ne manque pas d’imagination
pour se donner les signes apparents de son bonheur total et achevé. Et ce
qu’elle ne peut obtenir ici-bas, elle y accède dans le monde virtuel, où l’on
peut satisfaire tous ses désirs : la richesse, la beauté, une vie sociale
prestigieuse, un changement d’identité, d’âge ou de sexe, se créer un avatar,
s’adonner à la débauche sexuelle, à la violence, aux hallucinations, aux
explorations oniriques ou à la magie dans des décors synthétiques somptueusement
décorés. Et même harceler des personnes du monde réel, comme dans les rites
primitifs de poupées qu’on perce d’épingles. Une permissivité totale, sans
effort ni sanction. Mieux que les Romains du Bas-Empire. Le plaisir sans la
chute.
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