2014-01-31

Les sociétés écraniques (2)


L’application qui nous propose de transformer notre iPhone en miroir, par exemple pour se maquiller, ne fait qu’activer la caméra intégrée, qui nous regarde et nous filme. L’écran est un miroir humain, social, politique. Le réel s’est dissout simultanément dans les écrans des laboratoires de physique et de biologie, qui n’affichent plus que des fichiers numériques du réel. Toute notre connaissance astrophysique actuelle, la plus pointue, la plus instrumentale, se réduit paradoxalement à de l’imagerie scientifique. Les perceptions tactiles ou à l’œil nu n’ont plus de valeur scientifique aujourd’hui. Toute notre connaissance est produite par des appareillages électroniques et des programmes algorithmiques.
- Le mythe de la surface. La réflexion impliquait jadis de la profondeur de pensée. La superficialité était une faute de l’esprit. On creusait la vérité, on explorait les arcanes de l’âme. La psychologie elle-même avait établi une topologie des profondeurs, et la psychanalyse freudienne retournait les pierres de nos traumatismes enfouis dans l’obscurité caverneuse de l’inconscient. C’est Lacan qui a fait remonter l’inconscient et la psychanalyse à la surface, comme un plongeur qui donne un coup de talon, réduisant cette épaisseur des couches de la psyché à la surface du langage et des jeux de miroir de la société. Surfant sur la toile de la communication, il s’est intéressé aux mass media, où l’esprit dérive comme un bouchon au gré des ondes. Perte de quille, perte de racines, perte de profondeur : pourquoi pas? Au risque de l’obscurantisme émotif.

Déréalisation et nomadisme vont de pair, mais cumulent leurs effets psychologiques, qui se traduisent en une déchirure dramatique de la conscience par rapport à ses repères antérieurs. Non seulement l’homme renonce à son unité profonde, intégratrice avec le monde, dont il jouissait dans les cosmogonies primitives, mais il perd aussi le sens du réel, de la gravité qui assurait son équilibre, et les racines où il puisait sa sève. Il passe d’une identité psychologique à une identité électronique. C’est cette même apesanteur fantasmatique et vertigineuse, qu’on retrouve dans les métaphores du cybermonde, et qui est une sorte de catastrophe ou de précipitation ontologique.

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