Si, parodiant Blaise Pascal,
j'écris que l'homme est un réseau pensant, je passe d'une cosmogonie religieuse et individualiste à une cosmogonie
technologique où l'homme se situe au carrefour des réseaux numériques dont il
reçoit les informations qui le déterminent, mais aussi où il est producteur et
synthétiseur d'idées. L'homme perd de son unicité psychologique et spirituelle,
mais enrichit sa conscience d'innombrables informations qui l'irriguent, comme une sève numérique. « Je est un autre », disait Rimbaud et
cela devient plus réel dans la cosmogonie actuelle, qui substitue au mythe de
la profondeur (de l'inconscient) celui de la surface (médiatique), et à celui du
monothéisme (centré), celui des réseaux sociaux (l’indivision afocale). Dans
l’évolution de la peinture, cela s’est traduit par l’abandon de la construction
de l’espace pictural en perspective, avec un point de fuite unique
(Renaissance) et l’adoption de la composition sans profondeur en arabesque
configuratrice (Matisse).
Cette cosmogonie est de racine
grecque, polythéiste et prométhéenne. Elle l'emporte donc aujourd'hui sur la
cosmogonie biblique. Et l'homme lui-même change beaucoup aussi. De victime de
Dieu (chassé du Paradis terrestre), donc déchu et soumis, il devient le
vainqueur de Dieu, libre créateur de son propre univers grâce à la nouvelle
puissance - humaine et non plus divine -, qu'il tire de la science et de la
technologie. L'homme qui se voit comme un réseau pensant, comme un hypertexte
vivant, traite les informations qu'il capte et les transforme en idées
créatrices. L'hypertexte humain devient planétairement interactif. Et c’est en abusant de cette idée que
plusieurs ont lancé le concept d’ « intelligence collective », suite
aux réflexions de Douglas Engelbart, l’inventeur de la souris, dans Augmenting Human Intellect: A
Conceptual Framework. Il me semble qu’il est plus pertinent
de parler seulement d’« intelligence connective » ou d’« intelligence
partagée » pour désigner cette possibilité d’une intelligence individuelle
mieux informée et donc plus productrice, plus performante, grâce à un accès aux
connaissances démultiplié par les liens numériques. Donner à l’intelligence
plus de ressources pour s’exercer, ce n’est pas augmenter le QI – le coefficient
intellectuel d’une prétendue intelligence humaine diffuse comme une aura autour
du globe terrestre, car nous ne sommes pas de ceux qui invoquent ingénument une
noosphère ou un cortex planétaire virtuel, qui envelopperait la Terre comme une
couche supplémentaire d’atmosphère. Cette aura n’existe pas. Il serait plus
intelligent de parler d’ « intelligence 2.0 », ou même 3.0 si l’on
veut être emphatique, car c’est le jeu des liens et des échanges interactifs
qui favorise l’exercice de l’intelligence individuelle. Il ne faut pas
hypostasier ces liens et inventer une intelligence fusionnelle planétaire, même
et surtout lorsqu’on veut donner de la crédibilité à la loi de la divergence. Il
n’est pas nécessaire pour être démonstratif de fantasmer théoriquement, comme
il arrive si fréquemment de nos jours aux enthousiastes du numériques. Cette
ingénuité collective bien réelle nuit même au concept d’intelligence collective
dont on prétend démontrer l’existence.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire