L’utopie
est l’écho du futur qu’on imagine/désire, volontariste, ingénu, erratique, ou
erroné, selon les cas. Lorsque nous en appelons à l’utopie du progrès, c’est d’éthique
et non de technologie que nous parlons. Car notre avenir dépendra beaucoup plus
de l’augmentation de notre conscience que de celle de notre puissance
instrumentale. Or, à y bien penser, on se rend compte que les croyants du
numérique – oui, cette religion fait parfois penser à une puissante secte
émergente, qui compte ses prophètes, ses prosélytes et ses intégristes - voient
l’avenir comme l’accomplissement du règne de l’intelligence hybride
numérique/humaine qui permettra, selon eux, non seulement de vivre dans un
monde entièrement intelligent, mais aussi d’en comprendre et maîtriser
totalement l’interprétation et l’instrumentation. N’est-ce pas
l’accomplissement du positivisme dont ont rêvé explicitement Auguste Comte et
implicitement beaucoup de scientistes de laboratoires, notamment américains, mais
aussi de fidèles de l’Eglise de scientologie ? Le numérique a pris le
relais des utopies politiques du XIXe siècle. L'utopie technoscientifique nous
promet à son tour des lendemains qui chantent. Espérons que cette nouvelle
promesse finira mieux que les précédentes.
Et
les prophètes du posthumanisme nous disent que ce sont les ordinateurs qui
prendront notre relève, avec plus d’intelligence, plus d’équité, autant de
sensibilité et moins d’erreurs. Certes, l’homme n’aura plus sa place dans cet
univers soumis à une intelligence artificielle non plus collective, mais
dictatoriale. Ce sont des logiciels sociaux qui nous géreront sans faille. Il
est vrai que l’homme est souvent pervers, tandis que la machine, même
cybernétique, n’a pas de défaut psychologique ou moral.
En
attendant cet accomplissement de la perfection socio-numérique, la religion de
l'humanité fantasmée par un Auguste Comte n'est rien en comparaison des rêves
sociaux libérateurs de nos nouveaux gourous du numérique. Ils nous annoncent
que nous allons tout gérer et contrôler, nous cloner, améliorer
considérablement notre santé, notre longévité, notre bonheur, notre beauté,
notre intelligence, notre mémoire. Ils nous prédisent que le numérique
résorbera les inégalités économiques, effacera les conflits de territoires et
de cultures, assurera l'éducation de tous les citoyens et le développement de
tous les continents. Car, disent-ils, les ordinateurs apprendront à apprendre. Ils nous promettent que le numérique
instituera une démocratie planétaire, le progrès social, l'égalité, la
fraternité (Facebook nous permet d'avoir tellement d'amis!). Enfin, nous
accéderons à une société planétaire intelligente et heureuse. Le magazine
américain Wired, bible de ce
cyber-imaginaire, a fait palpiter l'âme de toute une génération libertaire et
lyrique d'internautes. On trouve dans l’imaginaire numérique tous les rêves,
les peurs et les désirs des hommes du monde réel – tous les mythes archaïques.
La
Raison a été discréditée par les barbaries de notre histoire moderne et le
questionnement croissant de la science elle-même. La postmodernité a cru lui régler
son compte. Et ce que la Raison des rationalistes positivistes du XIXe siècle
n’a pas su atteindre, l’intelligence artificielle des ordinateurs du XXIe
l’accomplirait ? Pour le bonheur de l’humanité ? C’est ce que croient
les ingénieurs ingénus du numérique dans leurs laboratoires de robotique
neurologique, de simulation cognitive et d’intelligence artificielle
posthumaniste.
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